S’approchant du malade à demi-inconscient, Tomotake écouta quelques instants sa respiration fébrile et saccadée, avant de soulever ses paupières et de découvrir des pupilles presque blanches. Le fils du seigneur ne devait pas être âgé de plus de quinze ans, mais sa peau froide et sèche le faisait déjà presque ressembler à un mort. Relevant un bord de la couverture, le jeune maître regarda attentivement une de ses mains, qu’il découvrit crispée sur le futon. Ce dernier était déjà marqué de plusieurs traces d’ongles sur tout un côté.
- Qu’en pensez-vous, Tomotake-san ?
- Je ne saurai le dire, votre altesse. La Voie du Sabre ne m’avait encore jamais mené devant une telle souffrance.
- A croire que les Esprits ont jeté une malédiction sur mon clan. Notre famille les a pourtant toujours servis et respectés. Nous n’avons jamais failli à notre devoir envers eux.
Un vent glacial parcourait la vaste étendue de neige recouverte de corps inertes, de casques fendus, de lames brisées, et de taches de sang vermeil figées par le froid. Après de longues heures de combat, les clameurs de la bataille s’étaient enfin tues, emmenant avec elles les cris de guerre et le fracas des armes. Le soleil morne et pâle du Grand Nord teintait à présent la plaine de reflets morbides, et un silence pesant survolait les armures immobiles des milliers de morts étalés sur la glace. Seul le vent se faisait encore entendre, lançant par moment des bourrasques givrantes qui venaient faire remuer les morts tels des pantins désarticulés.
Sous leurs pieds, un sombre univers s’esquissait doucement à mesure qu’ils pénétraient dans les entrailles de la terre. L’escalier descendait en spirale et des mystérieuses profondeurs soufflait un vent de plus en plus nauséabond.
Les deux guerriers se déplaçaient prudemment sur les vieilles marches entaillées, s’appuyant d’une main sur les murs humides tachetés de moisissures. Ils progressaient vers les ténèbres, leur torche ondoyante propageant de furtives ombres devant eux.
Tandis qu’ils progressaient, un silence de mort régnait dans les escaliers, uniquement interrompu par le bruit de leurs pas sur la pierre froide.
Voilà un homme empreint d’une force brute peu commune. Rares sont les guerriers qui auraient eu le courage d’entreprendre un si long et pénible chemin jusqu’ici. Sa foi en lui est sa force, mais peut aussi être sa faiblesse dans cette contrée devenue malsaine. Car je dois vous mettre en garde contre les pouvoirs de cette secte de démons. Maîtriser la Voie du sabre ne sera pas suffisant pour en venir à bout. Celui qui les dirige est un Nécromancien très puissant, adepte de la magie noire du Dessous, et il ne craint pas les lames, aussi aiguisées soient-elles.
A mesure que Thorvald progressait entre les récifs, le vent soufflait de l’ouest en de saisissantes rafales, et la houle se brisait en de longues écharpes d’écume sur les rochers noirs qui le devançaient encore.
Se faufilant tant bien que mal entre les écueils à fleur d’eau, Thorvald accosta au pied des falaises en laissant son radeau glisser sur l’étroite plage de sable noir qui bordait le rivage.