La femme n’est plus tout à fait là où elle paraît. Elle s’assoit comme on s’attable pour un long festin. Elle se met à écrire plus vite, craignant de voir fuir l’instant, sa plénitude, une jouissance que rien d’autre ne saurait remplacer. Tout est proche et en même temps lointain. Elle poursuit le jeu un instant interrompu: voler du temps à l’homme et à l’enfant, tout en restant celle qui veille.
Même quand tout paraît gâché, perdu, elle croit que les mots sauront redonner à l’amour son élan initial, une perfection non altérée par les doutes et les malentendus. Elle accumule donc les poèmes, les carnets, les courriels comme sa grand-mère empilait les dentelles et les tricots dans un coffre de cèdre pour empêcher le vide de s’installer entre les saisons, les âges, les mauvais coups du sort.
Quand elle pense aux femmes dont une seule nuit d’amour a paru combler l’existence, elle se dit que ces vies bien rangées tiennent peut-être moins à la vertu qu’à la peur de s’exposer aux risques de la passion. Chaque fois qu’elle se sent trahie, abandonnée, elle croit que tôt ou tard surgira un nouveau visage qui comblera son goût pour les attachements subits et contrastés. C’est sa façon de remplir le manque qui l’habite, de provoquer les rencontres susceptibles de lui apporter l’amant attendu. Mais le corps en redemande sans cesse. Il veut toujours plus de sperme, plus de bras pour l’étreindre, plus de chair pour l’enrober.
Elle craint maintenant d’apporter à ses étudiants ce qu’elle-même a fait de sa propre vie : une promesse non tenue.
De la nuit profonde où cette histoire m'a plongée, de cette nuit où je crus
toucher le commencement de tout amour, la source de toute extase, l'origine
de tout abandon, je n'ai encore jamais parlé.
De quelle nuit et de quel commencement s'agit-il ? Je ne sais pas encore, et
peut-être ne le saurai-je jamais?
Et pourtant, derrière le corpus se trouve la machine littéraire qui n'est pas que la somme des chefs-d'oeuvre produits par les grands auteurs, ces romans, poèmes, essais dont on dit qu'ils sont les meilleurs. De la machine, on connaît plus ou moins a base visible: le marché, les prix.
On écrit le plus souvent pour abolir les frontières du temps et de l’espace, pour jeter des ponts entre le provisoire et le durable, la possession et la perte, la jouissance et le désespoir.
... la différence éprouvée entre les évidences corporelles et la fonctionnalité
dictée par l'instance sociale crée des distorsions propices au sentiment de
vide, d'amnésie, d'égarement.
L’autofiction emprunte aux écritures personnelles le caractère intime de la voix, son rythme incandescent ou répétitif.
Le rapport au monde est toujours capté par un corps quelque part dans un rapport avec un autre corps.