Manuel Rodríguez Blanco

(à cause de ?), (Grâce à), (en raison de), mes origines hispaniques, j'ai assisté à ma première (et seule) corrida, à l'âge de neuf ans.

J'en garde un souvenir très précis. Des ombres mouvantes sous le soleil, le sable jaune et voletant de l'arène, l'odeur du sang, des vociférations allègres, le piétinement lourd du taureau, qui charge et renâcle faisant trembler le sol, la musique flottante et embarrassée, allegro moderato, des pasodobles toreros triomphateurs, sortis de cuivres beuglants aiguillonnés par un chef sans pitié et martelé par une grosse caisse ivre : Aguero, Amparito Roca, Avelino, Curro valiente, (à la gloire du matador Curro Romero), et enfin le va et vient tremblotant du gato montes qui semble monter à contre-temps dans le ciel bleu.

Mon père est assis à ma droite, il fume, il lève parfois la main dans un geste d'approbation ou de désenchantement, puis se lève pour crier sa joie.

J'ai grandi depuis, la corrida fait partie de mon patrimoine génétique, même si je ne suis pas un aficionado ; je l'ai retrouvée, qui me guettait, dans plusieurs romans....

Arènes sanglantes de Vicente Blasco Ibanez :

(Cependant le taureau, après avoir couru encore un peu en boitant, s'était arrêté, afin de moins souffrir. Alors Gallardo prit une autre épée et vint se placer devant la bête, avec l'intention de procéder au descabello).

Mort dans l'après-midi d'Ernest Hemingway :

(C'est en voyant la femelle du taureau de combat qu'on saisit le plus clairement la différence entre l'animal sauvage et l'animal domestique.)

- le serpent à Plumes de DH Lawrence :

(C'était le dimanche de Quasimodo, la dernière corrida de la saison à Mexico. A cette occasion, quatre taureaux avaient été spécialement amenés d'Espagne, car les taureaux d'Espagne ont plus de fougue que ceux du Mexique.)



....et dans la chanson «Les belles étrangères» qui, selon Jean Ferrat, «quittent leur banc de pierre au milieu du combat»

«C'est que l'Espagne a trop d'enfants pour les nourrir, alors il faut choisir, la faim ou le taureau !»



J'ai appris à vivre avec la corrida, à renvoyer dos à dos les pro et les anti corrida, lassé de leurs arguments de posture.

Je me suis rapproché des raisonnements autrement plus profonds des défenseurs de la vie sous toute ses formes, laïcs et religieux.

J'ai épousé le combat d'Elisabeth Costello ce personnage Mythique de JM Coetzee, dont les conférences sur le sujet font autorité, en dépit de l'agacement de son fils ; adhéré aux thèses du film «Love meat tender», accepté l'argument des juifs orthodoxes qui refusent la viande car décider du jour et de l'heure à laquelle on tue un animal c'est vouloir se substituer à Dieu lui même, vibré à la thèse de Boris Cyrulnik, les animaux ont aussi des droits.



Car au fonds, ce qui importe plus que les mauvais traitements aux animaux, c'est de comprendre et d'accepter que l'on ne peut persister dans cette logique suicidaire consistant à créer nous mêmes des animaux pour notre plaisir d'humain, qu'il soit gastronomique, sportif, ludique ou récréatif.



Et disant cela, je contemple la face sombre de mon patrimoine culturel, qui me relie à mon père, à l'Espagne, à la Corrida, comme un monde suranné qui disparait en laissant les traces de son passage sous la forme du livre de Manuel Rodriguez Blanco que je ne me résoud pas à retirer des rayons de ma bibliothèque.
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