Nous sommes sur la terre des serpents
La vérité, c'est que nous sommes des sorcières.
Introduction :
"Je ne sais pas pourquoi on parle toujours de la lumière de Lisbonne. Comme si son ombre ne grandissait pas dans chaque rue et à chaque petit recoin, sur chaque portail d'église ou de palais, ou dans les souvenirs perdus abîmés dans une faille temporelle, où, si l'on regarde bien, on peut encore voir et entendre battre son coeur de flamme."
La musique, les banquets, les beuveries, et la joie constituaient donc un savant exorcisme et un appel à la vie dans toute sa plénitude et sa fugacité. Carpe diem dans toute sa splendeur. C'était l'Afrique mystérieuse et si ancienne qui nous entourait de toute part sans que nous n'arrivions, sans que nous ne puissions, sans que nous ne sachions comment y accéder nous aussi. C'était l'Afrique véritable, à la porté des sens, mais si distante, où l'on parlait des langues que je ne comprenais pas. Des traditions occultes. Des sorciers et des secrets de la forêt obscure si proche et si inaccessible. Des griots, ces traditionnels conteurs d'histoires qu'on ne nous racontait jamais (...) (p. 172)
Oui. Une image peut valoir mille mots, mais sur ces photographies, je ne vois mon père, et son absence devient alors une présence. En fait, plusieurs mois après notre arrivée à Tete, il n'y avait déjà plus un seul évêque au monde capable de recoller les morceaux de ce mariage qui touchait à sa fin. (...)
Rapidement, la situation est devenue à ce point irréversible que nous avons déménagé , notre mère et nous quatre, officialisant ainsi la première étape de la "future séparation juridique des personnes et des biens" qui était , à l'époque, le seul cadre légal pour défaire les liens sacrés du mariage entre deux catholiques, pour lesquels le divorce était interdit, selon les termes du Concordat entre l'Etat portugais et le Saint-Siège. (p. 157)
A partir d'alors, les populations makondes se sont engagées dans la lutte contre les autorités portugaises. C'est de là qu'est issue la colonne vertébrale de la Frelimo***. Est-ce que j'étais au courant de quoi que ce soit à ce sujet ? Absolument pas, non. Ni moi, ni personne dans notre petit monde. La censure était un mécanisme extrêmement efficace. (p. 112)
****La FRELIMO : Le Front de libération du Mozambique, ou FRELIMO, est un parti politique du Mozambique fondé en 1962 durant la Guerre d'indépendance du Mozambique. D'orientation communiste durant la guerre froide, il a été jusqu'en 1990 le parti unique au pouvoir sous le régime de la République populaire du Mozambique.
La "levure" de la religion et le "ciment civilisateur" constituaient le trait d'union entre ces peuples, réunis sous le drapeau portugais. Salazar n'avait de cesse de le répéter. Et l'Eglise adhérait à cette idée, en la personne du cardinal Cerejeira, qui affirmait que c'était la Divine Providence qui avait confié au Portugal cette mission historique. Et si quelqu'un essayait d'expliquer que les arguments fondés sur la supériorité ethnique, religieuse, et civilisationnelle dont nous nous considérions les porte-parole n'étaient en fait que l'un des nombreux visages du racisme, au Portugal et ailleurs dans le monde où ils étaient également invoqués par d'autres pays colonisateurs, les partisans de ces idées salazaristes se seraient indignés et révoltés, voire se seraient défendus avec tristesse : " nous étions différents des autres". (p. 93)
J'ai pleuré jusqu'à en tomber de sommeil. J'ai pleuré, sans larmes, les jours suivants, parce que je ne pouvais pas pleurer devant qui que ce soit. Mais le temps est généreux et cicatrise toutes les blessures, pour les remplacer par d'autres. Le cœur est un palimpseste.
pages 89-90.
L'amour est une plante rare, qui a besoin d'être cultivée, et d'une terre propre pour prendre racine librement.
page 262