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Citation de Dunadan


Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Dire que l’Eternité est « retrouvée » signifie un retour en arrière : en un moment où elle n’avait pas encore été perdue – le monde grec où, dans l’immanence, l’Eternité est au plus près, puisque la Nature est ce qui est toujours là, offrant sa toute présence sur laquelle, selon l’apparence, glisse le Temps. Platon, qui a scindé le monde, séparant l’intelligible du sensible, est sans doute, comme le veut Nietzsche, le moins grec des Grecs. Pour ceux-ci, des Antésocratiques à Epicure et aux Stoïciens, il n’y a rien d’autre que la Nature. Certes, le Premier Moteur d’Aristote est, peut-on dire, sur-naturel, mais il est posé par la pensée pour rendre compte du monde, de sorte que la théologie est comme le « couronnement de la philosophie de la nature ». Le Dieu judéo-chrétien, qui a fait le Ciel et la Terre, transcende la Nature et l’histoire : « Eux périssent, Toi tu restes […] Toi, le même, sans fin sont tes années » (Psaume 102, 27-28). L’Eternité était donnée avec la Nature. Elle devient objet de foi et d’espérance – dès lors que le Christ est le « Seigneur » de la vie éternelle. Mais le poète retrouve l’Eternité en redécouvrant la Nature – qui ne se réduit pas au monde. Le monde peut être pensé comme périssable, non la Nature. En mai 1873, Rimbaud s’adonne – il l’écrit à Ernest Delahaye – « tout entier » à cette « contemplation » retrouvée de la Nature – qui est plus que contemplation, mais abandon, identification : « Je suis à toi, o Nature, o ma mère ! » Mais l’Eternité ainsi offerte, toujours là pour chacun (cf le « là » des vers 11 et 17), n’a plus rien de l’Eternité immuable : elle est mouvement éternel. Le contraire le l’immuable est immuablement là. Qu’est-ce, en effet , que la Nature ? On n’a d’elle que son aspect, son visage ; mais la partie vaut pour le Tout, et l’on peut dire : « C’est la mer allée avec le soleil. » La mer, qui change sans cesse, fait équipe avec le soleil, qui ne s’arrête pas une seule minute. La mer qui est eau, le soleil qui est feu sont pourtant adversaires, sont des contraires. Les contraires, quoique adverses, sont sous le même joug : Héraclite n’a-t-il pas reconnu l’unité et l’indissociabilité des contraires comme constitutives de l’ordre naturel des choses ? N’a-t-il pas vu dans l’opposition, dans ce que l’on nommera le « moment dialectique », la clé du dynamisme universel ? L’Eternité surnaturelle, promise et espérée, était vie – vie éternelle, excluant la mort. L’Eternité retrouvée est vie mais, pour les vivants, vie mortelle : vie sous le signe du temps, de la précarité, de la mort. La vie se perpétue, certes, mais seulement parce que, comme le dit Héraclite, il y a, indéfiniment, des « destins de mort à naître » (fr. 20 DK). Telle est la Vérité. Le Poète est le gardien de cette Vérité : il la recueille dans ses vers.
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