Dans l'univers de Marcel Conche...
Le progrès de la civilisation ne fait que multiplier les besoins, les tentations, les plaisirs. Or selon Epicure, pour être heureux, il suffit d'avoir de l'eau, une nourriture simple, un vêtement, un abri, d'être philosophe et de vivre en communauté d'affection avec ses amis.
La philosophie est un moyen de s’absenter, de prendre du recul par rapport à la temporalisation. Mais il y en a d’autres. Lire des romans, des poèmes par exemple, après sa journée de travail, c’est une manière de faire une pause. S’absenter de la temporalisation, c’est un élément très important de l’art de vivre. Il ne faut pas attendre qu’on vous accorde un jour de congé ou des vacances, mais il faut savoir se ménager des pauses dans son emploi du temps habituel. Le repos de l’intelligence, le moment de liberté sont nécessaires. Il nous revient, à nous, au cœur de notre vie quotidienne, de ménager des ouvertures sur la sérénité tranquille, sur la paix qui doit toujours être au fond de nous, à notre disposition. À la surface de notre âme, il y a l’agitation, les vagues, les tempêtes, les harcèlements, les impatiences, mais dans le fond, comme dans la profondeur de la mer, doit régner un calme absolu.
Je dois avouer une certaine sympathie pour le désordre, étant naturellement hostile à tout ce qui me limite, donc aux lois. Il m’a même fallu longtemps pour m’accommoder du port de la ceinture de sécurité en voiture ! Du reste, le désordre est créateur. D’où peut venir l’ordre sinon du désordre ? C’est ce qu’enseigne Épicure.
Depuis, j'ai toujours eu dans l'esprit des questions de cette nature: " Pourquoi le monde existe ? et moi, pourquoi j'existe ? Le monde, est-il fini ou infini ?" Bien de jeunes enfants se posent pareilles questions, mais par la suite ils songent à autre chose, comme trouver du travail ou faire la cour à des personnes d'un charme particulier-ou même d'un charme ordinaire !... tandis que ces questions ont rempli ma vie, mue par une unique passion pour cette maîtresse qui ne vous trahit jamais : la philosophie. (p.14)
En revanche, hors de ce milieu d'étudiants, je reconnais en moi cette humilité de mon père, qui me vient de ma condition de paysan. (...)
Je n'approuve pas cette humilité chez moi, c'est l'un de mes défauts contre lesquels je ne peux rien. Le caractère ne dépend pas seulement du patrimoine génétique mais de la vie que l'on a vécue dans l'enfance, des conditions dans lesquelles on a grandi et de la façon dont on s'est comporté avec vous. (p.33)
J’aime dialoguer avec les Grecs et ce dialogue est une part essentielle de ma vie. J’ai parfois l’impression que mon bureau de la Maisonneuve, que je trouve pourtant trop petit pour y parler avec un ami, est peuplé de Grecs : Héraclite, Parménide, Anaximandre, Épicure sont mes visiteurs permanents. Avec eux, ce qui est présent, c’est la Nature. C’est elle qu’ils m’aident à penser, grâce à un étonnement initial, une naïveté première ; non à partir de mots conceptuels aux significations réduites par les définitions mais des mots encore vivants du langage mi-commun, mi-poétique. La Nature est le Poète premier, ai-je souvent dit, et la philosophie a sa source dans la poésie. C’est cette poésie des lieux, là où la philosophie, après être née en Ionie, a connu son âge d’or, qui m’a frappé et envahi lorsque je suis allé à Athènes pour la première fois, en 1986.
On est héros par volonté, on est génial par grâce. L'héroisme, vous le décidez, le génie vous est donné. L'héroïsme, c'est vous. Le génie, c'est la Nature qui a décidé pour vous. On peut dire : "Je rêve d'être un héros." On ne peut pas dire : "Je rêve d'être un génie."
Selon Epicure, un hasard fondamental se trouve à l'origine de toute chose. Et je crois qu'il a raison : le fond éternel de la Nature est un désordre fondamental. Comme le désordre, ou le hasard, produit ce tout de la Nature, toutes les combinaisons possibles, il est inévitable qu'à un moment donné apparaisse une combinaison ordonnée. Le désordre produit l'ordre parce que l'ordre n'est qu'un cas particulier du désordre.
Autrement dit, le but n'est pas là pour être atteint mais pour donner l'occasion d'agir, il n'est que le moyen de l'action même.
La clef de la sagesse est qu'il faut penser toute chose sur le fond de l'infini.