Margaret Mascarenhas

« Que diable sont devenus les fées et les lutins, les œufs de Pâques, les poupées Barbie ? » Elle percevait l’hystérie dans sa voix, mais n’y pouvait rien.
« Poupées Barbie, Pagan ?
– D’accord. Oublie les poupées Barbie. Il ne s’agit pas de ça.
– De quoi s’agit-il au juste ?
– Eh bien, je ne veux pas vivre comme ça. » Pour ne pas dire plus. Elle ne peut pas vivre comme ça, plutôt. Trop souvent elle s’aperçoit qu’elle ne sait pas comment elle est allée du point A au point B. Le rythme de la vie urbaine américaine provoque en elle des crises d’anxiété sur la voie express, des étourdissements dans les gares bondées, des vertiges dans les grands magasins. Et des tendances homicides quand elle a affaire à d’affeux misogynes dans les bars. Si elle ne s’en va pas, elle risque de devenir un des tueurs.
« Ouais, lui a dit sa cousine Carmen, qui vit maintenant à New-York. Je vois ce que tu veux dire. Tu crains qu’un jour tu n’ailles tout simplement acheter un AK-47 pour abattre ces salopards. »
Exactement.
« Mais, dit Xico qui tentait de comprendre cet accès d’angoisse et de colère, tu veux dire que le problème c’est l’Amérique ? »
Pagan gémit à cause de l’effort qu’elle devait fournir pour essayer d’exprimer ce qu’elle ressentait. « Non, Xico, répondit-elle, le problème ce n’est pas l’Amérique en soi. Le problème c’est moi, mon inaptitude en tant qu’hybride culturel à savoir où est ma vraie place. Mais je ne peux pas le résoudre ici. J’ai besoin d’être ailleurs. Et par "ailleurs" je ne veux pas dire un jacuzzi à Miami. Et je ne peux pas le faire si tu es là. J’ai besoin d’être seule. »

Pagan a relégué les amants qui ont précédé Xico à la lettre X dans son carnet d’adresses.
« Comme dans ex-petits amis ? » a demandé Xico.
Comme dans exterminés, a-t-elle pensé à l’époque, mais sans le dire.
Elle a bordé de noir, au marqueur indélébile, ces pages-là, donnant à chacune l’apparence d’une carte de condoléances.