Marianne Grivel

Reprenant certains motifs de toiles antérieures (Les Vieilles filles d'Arles), ils sont tirés par Edward Ancourt sur un papier jaune canari qui rappelle certaines affiches publicitaires alors placardées sur les murs de Paris. Les Bretonneries d'Emile Bernard, en revanche, sont avant tout un manifeste artistique : conçues pour être aquarellées, elles sont dans l'esprit d'Emile Bernard porteuses des idées du groupe constitué à Pont- Aven : le retour à la simplification des formes, aux teintes plates, à l'harmonie de style, à la naïveté et à l'archaïsme.Ce qu'Alfred Jarry formulera en 1894 à propos de Filiger : « la simplicité est harmonie» et que l'on résume alors en un mot, « la synthèse ».

Lorsqu'en mai 1889, à l'occasion de l'Exposition universelle, le Groupe impressionniste et synthétiste décide de présenter ses oeuvres au café Volpini, on remarque dans le catalogue, parmi les toiles de Paul Gauguin, Emile Bernard, Emile Schuffenecker, Charles Laval, Louis Anquetin, Léon Fauché, Louis Roy et Georges Daniel (de Monfreid), « visible sur demande », un album de lithographies de Paul Gauguin et d'Emile Bernard. Faute de témoignages, on ne sait pas ce que contenait exactement cet album mais tout donne à penser qu'il s'agissait des onze Dessins lithographiques de Paul Gauguin et des sept ou huit zincographies des Bretonneries d'Emile Bernard.

Cette idée de synthèse est de trois ordres : synthèse plastique, d'abord, directement issue du « cloisonnisme » d'Emile Bernard et de Louis Anquetin, que Maurice Denis explicitera en 1890 par la formule célèbre : « se rappeler qu'un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Synthèse spirituelle, ensuite, exprimant un synchrétisme proche des théories symbolistes, qui se traduit chez Paul Sérusier ou Charles Filiger par un mysticisme profond et qui conduit Mogens Ballin au baptême et Jan Verkade au couvent.

Paul Gauguin s'impose assez vite à Pont-Aven : « ma peinture soulève beaucoup de discussions et, je dois le dire, trouve un accueil assez favorable chez les Américains » écrit-il à sa femme en juin 1886. Lors de son second séjour, en 1888, Paul Gauguin forme avec Emile Bernard, Charles Laval, Henri Moret et Ponthier de Chamaillard « les Impressionnistes » tenus à l'écart par les autres pensionnaires, élèves de l'École des Beaux-Arts, de l'Académie Julian, anglais ou américains.

En 1887, Bernard peint en compagnie de Van Gogh, puis reprend au printemps le chemin de la Bretagne. Il séjourne deux mois à Saint-Briac et décore les fenêtres de sa logeuse, Mme Lemasson, à la façon d'un vitrail, premier essai de « cloisonnisme ». Il passe ensuite l'été à Pont-Aven.

J'aime la Bretagne. J'y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j'entends le ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture, écrit Gauguin.