Marie Prieur

Est-elle une mauvaise mère? Devrait-elle se soucier davantage de ce qu'ils vont faire ce soir? Du temps qu'ils vont passer sur leurs téléphones?
Et qu'est ce que ça changerait?
En fait, ça la soucie effectivement bien entendu, mais elle pense ne plus rien y pouvoir, avoir dépensé toute l'énergie qu'elle avait en elle les dix dernières années.
C'est ce qui s'appelle avoir baissé les bras, avoir démissionné, imagine-t-elle entendre dans la bouche des services sociaux qu'elle imagine souvent, quand elle ne dort pas, arriver chez elle et lui reprocher tout ce laxisme.
Elle leur répondrait qu'ils ont deux parents, que la faute ne lui est pas imputable à elle seulement...
Mais leur père est si souvent absent pour son travail, a une amplitude horaire beaucoup plus large qu'elle (au fait, à quoi passe-t-il son temps?)
Elle, elle a su aménager son temps de travail pour justement être davantage présente à la maison pour ses enfants, et quand ils étaient plus petits et qu'ils avaient encore besoin d'elle, les emmener à la danse, au piano, à l'équitation, au tennis, aux cours de guitare...Mais pour quel résultat?

Je repense à ces moments partagés, l’été la cueillette des groseilles, framboises et cassis, les doigts rougis par lesfruits, l’hiver à la tombée de la nuit, le plaisir de retrouver la quiétude du logis en rentrant du travail ! Je sais que Chloé aimait cette maison aussi, je me souviens de discussions autour de son avenir, comme seuls peuvent en avoir les parents avec leurs enfants, c’est-à-dire à l’opposé les uns des autres, en surface au moins, car ça ne se fait pas, ado, d’avoir les mêmes opinions que sa mère !

Il n’avait pas assez été assez rapide pour mettre en mémoire interne toutes les infos envoyées. Ce qui manquait avait été crucial…
Etre totalement concentré, c’est ce qui lui manquait. Son cerveau était le plus souvent perdu dans des méandres où lui-même ne se retrouvait pas toujours ! C’est ce qui faisait qu’il était différent des autres, lui disait gentiment Far quand il lui confiait ses soucis…

Ils avaient eu un peu de mal à intégrer la façon de penser et de s’exprimer de leurs nouveaux amis, d’ailleurs étaient-ils au point maintenant ? Pour étoffer cette part de langage qu’ils ne maîtrisaient pas encore bien, ils étaient allés souvent dans une « arena », lieu de rencontre programmée pour les jeunes, avec des « ateliers de vie », qui changeaient régulièrement, et où on pouvait échanger des compétences, un genre de troc de savoir qui avait beaucoup plu aux deux amis. Pour l’instant, ils avaient surtout regardé comment ça fonctionnait, mais avaient peu à peu sympathisé avec un groupe mixte de jeunes, mixité autant par le sexe que par la couleur de leur peau ou leurs origines sociales.

Bref, Ed est une jeune femme comme tant d’autres, bien dans son époque… Pourquoi alors ces rêves à répétitions ? Ce n’est pas qu’elle y fasse très attention en règle générale, mais ce matin-là, même en se levant après une petite grasse mat’ car on était dimanche, la sensation du rêve ne se dissipait pas… C’était comme un rêve éveillé. Comme si, en se sachant réveillée et la même que d’habitude, elle se trouvait bizarre et différente, c’était difficile à expliquer. Une impression puissante que sa vie allait changer, sans qu’elle ne puisse aller contre. Mais en avait-elle envie ?

Il marche sur une route qui borde la mer, un peu au hasard, on est dimanche, mais le dimanche quand on est seul, ça veut dire une journée vide qu'il faut remplir...

Il fait froid ce jour-là, il a gelé ce matin, mais la rue est en mouvement malgré tout évidemment. A Paris, les gens sont des fourmis. Toujours quelque chose à faire, c’est impressionnant vu d’en haut… En tous cas, vu de sa fenêtre c’est ce qu’il lui semble… Jamais le temps ne se fige de l’autre côté, dans l’autre monde derrière ses carreaux…