Ça devient tellement fou parfois cette façon qu’elle a de parler à toute vitesse, sans jamais respirer, de commenter tous les événements, de lâcher des phrases insensées où les mêmes mots reviennent sans arrêt, des mots comme des pierres qui éclatent, des idées qui se bousculent en continu. On pourrait croire qu’elle boit, mais non, son alcool à elle c’est sa rage. Une rage amère.
C’est déjà assez pénible de ne pas pouvoir marcher, en plus il faut se taper toutes ces conneries dans les magasins, sur les trottoirs, partout, jusque dans l’appartement, pendant des années à lutter contre tout, à crever à petit feu.
Pas possible de vivre comme je suis, je ne pourrai jamais vivre comme les autres. Mon mal de cœur, c’était dû à cela aussi, à tout ce qui me cloue comme un insecte dans une vitrine. Cloué vivant.
Je peux toujours rêver que je marche, que je cours, ça restera un rêve. J’ai envie d’exploser, de tout casser ou de plonger dans le ciel, disparaître dans les nuages, un tout petit point, très loin et puis plus rien.
Vaudrait mieux que je ne me réveille jamais.
Ce qu’il y a de plus rigolo chez Kévin, c’est son rire. Il rit comme un fou, en se dandinant d’un pied sur l’autre en se tenant le ventre, un rire qui monte dans les aigus, de pire en pire depuis qu’il commence à muer. Impossible de l’arrêter. Il rit de s’entendre rire, à s’en pisser dans le jean. Il lit ce que j’écris, trois mots, et il éclate de rire, il se fait un film désopilant tout seul dans sa tête. Quand il me le raconte ce n’est pas toujours drôle et c’est rarement ce que je voulais lui dire.
Ça avait tout l’air d’un rêve. Mais non, vraiment pas, et vu le tour qu’ont pris les événements, après, c’était plutôt un cauchemar.
Mais non. Pas ça non plus.
Ça commence par le bruit. Un vacarme lourd, dense, presque régulier, qui tourne en volutes, creux de vague et crêtes aiguisées, métalliques. Ça gronde, une énorme machine de travaux ou de guerre. Le bruit et le noir d’un soir d’hiver.
Ça s’appelle un dessous-de-table et c’est pour cela qu’on n’en parle pas. Jamais, à personne. Tu me suis ? Jamais. Ta mère ne doit pas le savoir. En plus du pas-de-porte, elle va avoir des frais, faire des travaux, j’imagine. C’est lourd tout cela et moi, qu’est-ce que tu veux que je fasse de mes économies ?
Kévin est tellement malheureux de me voir comme je suis que ça me met en rage,à cause de moi,à cause de lui et de ses envies stupides,de ses paris plus stupides encore.
Si elle pouvait se taire un peu,je saurais peut-être lui parler