Mathilde Trébucq

Les jardins de grands-mères ne figurent dans aucune anthologie sur l'art des jardins. Ils échappent aux études sociologiques comme aux travaux historiques. Sans doute parce qu'ils ne sont ni rares, ni remarquables. Généralement tout petits et blottis derrière la malson de famille, ils organisent dans un enchevêtrement serré la culture des légumes, des fleurs et des fruits. Ces jardins-là sont avant tout nourriciers, prônant la simplicité et l'abondance des odeurs, des couleurs, des saveurs, loin de toute futilité. Lieux du quotidien, bruissant de vie, ils émergent de nos souvenirs d'enfance, mêlant la chaleur de l'été, les paniers chargés de haricots croquants, la profusion des pivoines, le caquètement des poules, les guêpes, les soirées dévolues à l'arrosage où l'air sent fort l'herbe. Et tous les moments passés autour de la table où l'on apprend les mystères du climat et l'espoir des belles récoltes à venir. Autant de traces sensibles d'une époque révolue : celle d'une société laborieuse née du développement industriel et peu à peu écrasée sous le poids de l'exode rural, des modifications urbaines et des bouleversements induits par la société de consommation. La famille se construisait sur la petite parcelle féconde que l'on travaillait en famille au fil des générations. Aujourd'hui, portés par l'écologie, ces havres de calme où le temps s égrène au rythme de la nature sont de nouveau à l'ordre du jour. Loin de l'accélération induite par les nouvelles technologies, on renoue avec la terre et la simplicité, on retrouve le goût unique des légumes semés avec les enfants.

Les chansons qui racontent la vie du jardin, le labeur de la culture, la beauté d'un bouton de rose ou l'effluve de la violette sont assez difficiles à dater. Elles sont inscrites dans la culture populaire des terroirs de France (...)
Car la plupart de ces chants qui vantent le velouté d'un pétale, la liberté des églantiers ou les charmes des aubépines sont aussi souvent des hommages rendus à la fraîcheur des femmes. Des compliments courtois ou galants qui distillent avec candeur le sentiment amoureux naissant.
Transmises de générations en générations, les plus simples de ces comptines entrent dans la bouche des enfants dès la maternelle, et les suivent à vie. A la manière de petits trésors que l'on garde au fond de soi, et que l'on est heureux de transmettre le jour venu.