La dernière fois, il [Cairo] était passé en début de soirée me rendre mon vinyle de Durutti Column. Je le lui avais prêté deux jours plus tôt. Qui peut franchement croire qu’on comprend quelque chose à Durutti Column en quarante-huit heures ? (p. 76)
- Je n'en reviens pas. Tu nous fait chier pour qu'on ailler tous les trois à l'Haç, tu te pisses dessus, on laisse tomber, et trois jours après tu y retournes tout seul, dans notre dos...
- Ça va, on n'est pas mariés. On a le droit d'avoir notre propre vie.
- Mais, Snob, on parle pas d'aller au ciné. (p. 63)
Manchester était jusqu’ici une ville de l’après : post-industrielle, post-punk, post-guerre. La house music et l’ecstasy en faisait enfin une ville de l’avant. (p. 46)
Il [Slime] pense à ce que sa ville est capable de produire. Manchester a retrouvé sa force collective. Elle l’avait abandonnée à l’entrée de ce siècle. Main dans la main, pendant des décennies, les Mancs ont dominé l’Europe. Ils ont inondé le continent de leur coton. Warehouse City. La ville des entrepôts. Partout. Les usines à perte de vue. La fumée noire des cheminées pour horizon. Et l’essentiel : des milliers d’ouvriers qui donnèrent à cette ville sa gloire et leur poumons. Manchester ne les a pas payés en retour depuis longtemps. La puissance des travailleurs s’est affaiblie pendant la Première Guerre mondiale, évanouie après la Seconde. Depuis quand Manchester n’a rien produit contre les coups de matraque ? En 1819, quatre-vingt mille personnes affamées, des manifestants pacifiques massacrés par l’armée à State Perter’s Square, juste derrière l’Haçienda. En 1838, le premier mouvement ouvrier d’ampleur dans l’Europe industrialisée, les chartistes et leurs leaders arrêtés et poursuivis pour conspiration. En 1842, les Plug Riots, une bataille entre ouvriers et soldats, là où la BBC a aujourd’hui installé ses locaux. En 1868, quatre jours enfiévrés de congrès syndical au Mechanic’s Institute. En 1893, les anarchistes en meeting à Ardwick Green, au sud-est du centre de Manchester. Depuis, les Mancs ont fermé mines, moulins et usines. Adieu, Friedrich Engels et Karl Marx. La guerre, la reconstruction, le travail à marche forcée et maintenant Thatcher qui les écarte d’une pichenette. Les mâchoires de Slime se serrent, les poings aussi. La colère monte. Il redescend sur terre plus vite qu’après une montée de drogue. Ses camarades de la cellule ont besoin de lui. Il faut leur dire qu’il y a là une énergie collective qui déborde sous leurs yeux. Cette jeunesse est en train de replacer Manchester au centre du monde. Slime sait déjà que Sergio ne l’écoutera pas.