Maurice Darmon - Tarkovski Miroir (1964-1975)
Quant au collectif que le générique du film, sonore sur fond noir, liste par ordre alphabétique, sans distinguer les acteurs des techniciens, tous mirent leur salaire en participation au film, et Duras ne se rétribua pas davantage pour son texte et sa mise en scène.
Tourner un film, c'est forcément livrer corps, voix et visage à chaque mot, à chaque réplique ; c'est abandonner toute leur place et leur durée aux espaces et aux silences. Voir et entendre : qu'est-ce que le cinéma, sinon des images et des sons ?
Si durant ces vingt années entre 1965 et 1985 de profonds changements en France et ailleurs, Marguerite Duras s'est tant attachée au cinéma, c'est qui lui a sans doute paru mieux que le roman et le théâtre se prêter à l'urgence politique par sa capacité à transfigurer les lieux, les corps, les regards et les visages et à réunir autour de ses spectres d'ombre et de lumière de plus vastes publics, fréquemment et durablement.
Tout le cinéma de Marguerite Duras est si économe en mouvements de caméra qu'on ne peut soupçonner son rarissime recours au zoom de facilité rhétorique. Il s'agit dans chacun de ses exceptionnels usages d'en appeler à l'attention, tantôt de ce qui se dit ou se tait, se passe dans les mots et les sens, tantôt dans les mouvements et les immobilités, tantôt enfin dans les suspensions, les pauses et les silences.
Tout le cinéma de Duras tendra vers la pauvreté et la simplicité des moyens comme principe de son art, de sa morale, de sa politique.
C'est dans une profonde évolution personnelle autour de 1968, ses espoirs et ses déconvenues, que Duras a inscrit ses premiers films, surtout dans Détruire dit-elle (1969) et Nathalie Granger (1972) qui ouvrent le cycle de la destruction capitale.
Après ses approches de commande, Hiroshima mon amour, Sans merveille et La musica - où son apport et sa marque sont évidents et incontestables - Détruire dit-elle est le premier film autonome de Marguerite Duras.