Mélinda Morisset

Je me réveille doucement et m'aperçois que je suis seule dans
le lit. J'ai un moment de doute et me demande si c'était un
rêve ou si la soirée d'hier s'était réellement passée. Une
odeur agréable de pancake flotte dans l'air. J'ai toujours aimé
manger des bonnes choses le matin, comme à l'américaine.
J'enfile un grand tee shirt qui me passait sous la main, tire
mes cheveux de façon à en faire un chignon et me faufile
jusqu'à la cuisine. Il était là, à préparer le petit déjeuner vêtu
simplement d'un caleçon et de sa chemise restée ouverte
pour le plus grand plaisir de mes yeux. Sa peau un peu mate
et ses abdominaux bien dessinés ne pouvaient que me
décrocher un sourire. Ça n'était donc pas un rêve.

J'ai vraiment l'impression d'être
dans un mauvais rêve. Ça ne s'arrête pas, jamais. Je suis
fatiguée, j'en ai plein la tête de tout ça, de Léna, de toi ! Mais
à qui je peux faire confiance maintenant ! Criais-je les larmes
aux yeux.
Je me retrouve désormais seule, trahie par tous ainsi que par
l'homme que j'aime, celui que j'avais choisi parce que je le
pensais différent. Je n'ai plus personne sur qui me reposer,
me confier et me sentir mieux. Personne sur qui compter
pour me soutenir dans ce procès.
Je suis complètement seule
comme jamais je ne me suis sentie.

Quelle personne censée
reviendrait directement se jetter dans la gueule du loup
lorsqu'elle aurait eu l'occasion de pouvoir lui échapper ? Les
bleus sur ses bras se sont estompés et ont laissés la place à
une toute autre forme de bleus. De tous petits points comme
des aiguilles. Ils ont dû lui faire ça quand elle était à l'hôpital.
Elle a un peu moins de cernes aussi comme si elle avait pu
dormir sereinement pour la première fois depuis très
longtemps. Quel bien ça fait de la voir, de pouvoir la toucher
et de la serrer dans nos bras.

C'est fini, il ne pourra jamais plus m'atteindre, me
toucher, me faire du mal. Il n'existe plus. J'ai dû mal à réaliser
mon geste et en même temps je suis heureuse d'avoir pu en
venir à bout. C'est comme si toute ma peine et toute ma
douleur avaient plongé avec lui. J'attrape mon sac à dos où se
trouve mon arme et y met du poids à l'intérieur et le jette à
l'eau pour m'en débarrasser. Je n'en aurais plus jamais
besoin. Et je reprends la direction du port presque soulagée.

-Je crois que moi aussi, je suis amoureux de toi.
Mon cœur est sur le bord de l'explosion en entendant ces
quelques mots. C'est la première fois qu'on me les
prononçaient et cela m'a fait quelque chose. Pour la première
fois de ma vie, je me suis sentie désirée et aimée. Nous
finissons ce que nous n'avions pas eu le temps de terminer
l'autre soir lorsque la frustration était à son comble.
Désormais, nous étions tous les deux apaisés.

Depuis que je suis venue au monde, tu n'as cessé de me
protéger de tout et n'importe quoi. Un petit bobo devenait
pour toi une urgence vitale. A l'école, nous étions toujours
fourrés ensemble, à jouer dans la même équipe de foot, à être à côté en classe même si les instites n'en pouvaient plus
de nous entendre bavarder, ils n'ont jamais pu nous séparer.
Nous étions plus insupportables encore si ils osaient le faire.
Si les copines ou les copains se fâchaient contre moi, tu
n'hésitais pas à montrer les crocs. J'aimais cette sensation de
protection que tu me donnais. Je me sentais invincible,
intouchable. J'étais ton monde et tu étais le miens. Quand
nous sommes rentrés au collège, je maudissais tes petites
copines qui prenaient de la place dans ta vie, beaucoup trop à
mon goût. Et je les detestaient encore plus lorsqu'elle te
brisaient le coeur. Toi qui était si gentil, si attentionné. Tu aurais fait le bonheur de n'importe qu'elle fille à l'époque et aujourd'hui encore, si tu étais toujours là.

Ma plus grande crainte en ce monde serait de voir mourir mon
père sans jamais qu'il ne paie pour son crime. Pire encore, de
ne jamais retrouver le corps de mon jumeaux, ma moitié, ma
chaire. En y pensant, je sens la migraine venir. Cela me rendrait malade, cela m'anéantirais.
Pour le moment, les simples informations que j'ai
proviennent de mes souvenirs car les seules personnes
présentes lors de cette tragédie étaient mon père, Mahé, ma
mère et moi. Mais nous vivons dans une société qui protège
parfois des coupables sans même le savoir. Comment
connaître les circonstances de la mort d'une personne si il n'y
a aucun corps pour être examiné ? Comment prouver la culpabilité de l'assassin sans preuve aucune ? Il y a bien eu une audition à l'époque, la mienne. Mon père avait déguerpi et m'a mère aussi. Elle avait bien trop peur des retombées et surtout, elle avait peur que mon père ne la retrouve si elle avait eu le culot de témoigner contre lui.

J'adore les étoiles, ces petites lumières fascinantes qui sont en train de mourir et en même temps qui sont brillantes et magnifiques.
Lorsque j'étais enfant, il m'arrivait de passer des soirées entières allongé sur la pelouse de mes parents et de les admirer. Je rêvais d'être sur l'une d'elle. N'importe où ailleurs que chez moi. J'aurais donné n'importe quoi à cette époque pour échapper à ma vie. J'aimerais parfois retrouver le temps
de contempler ces étoiles comme il se doit et non pas cinq minutes de temps à autre. J'aimerais reprendre le temps de les admirer comme elles le mérite, de me rapeller combien elles sont belles et apaisantes.
A ce moment précis, je suis presque jalouse de ces étoiles. Il
en parle avec une telle admiration, comme si elles étaient la cinquième merveille du monde à ses yeux.

Je ne pensais qu'à une seule chose, que la douleur s'en aille au plus vite. Mes larmes chaudes ne
cessaient plus de couler sur mes joues et je n'avais jamais ressenti quelque chose d'aussi douloureux. C'était sans compter sur l'enfance qui m'attendais. C'était la première fois
qu'il était violent avec l'un de ses enfants. J'ai compris à ce
moment là, que plus jamais je n'oserais le contredire et que
ma mère n'était pas de taille à lui répondre. Mahé avait
également assisté à la scène mais sans rien pouvoir faire.
Comment défendre sa sœur lorsque l'on a cinq ans ? Son
regard en disait pourtant long sur le mépris envers son père.
Avec du recul, je n'avais jamais vu un enfant regarder son père avec une telle envie de lui faire du mal, de le voir souffrir.

J'ai besoin de souffler un peu avant
de poursuivre quoi que ce soit. Je sais ce qui m'attends à la
page suivante. J'ai besoin de m'aérer, j'ouvre la porte
d'entrée en essayant de ne pas faire de bruit mais Joshua à
l'ouïe fine. Il se redresse aussitôt et me regarde perplexe.