Histoire naturelle ‒ requiem
J'ai rêvé que les pierres parlaient,
c'était une langue douce, mélodique.
Il n'y avait ni consonnes ni voyelles.
La lumière venait d'ailleurs, le pain
aussi, le pain personne ne le mangeait,
on traçait des chemins plus personne
ne les suivait plus personne
ne chantait.
p.64
Les forêts naissent aux pieds des morts,
les lavent puis nous apprennent à y renoncer.
Cela commence par un oubli, une lettre manque
au milieu d'un nom. Puis une deuxième, une troisième,
et très vite le blanc se répand jusqu'au bord du coeur.
c'est le charbon qui révèle l'âge de l'oiseau
les plumes arrachées à chaque offense
celles marquées du sceau de la nuit
celles oubliées dans les foins
celles trempées dans le goudron
et portées sous la pluie
carré soudain noir
au fond de la nuit cercle
de feu profond puits la lune
pleine et ronde fiction
où l’alphabet même
se trahit : on ne parle
pas de la même façon
dans le noir
Histoire naturelle ‒ requiem
Ce sont les lèvres tendues, le silence,
le baiser qui ne vient pas, le décor l'attente
les restes. La photographie d'une oasis.
Merci pour les fleurs, les tempêtes.
Le désert s'éternise. La soif de plus en plus
ardente, le temps lentement découpé. Le corps
dit non non oui (merci pour les fleurs).
Les mirages, les plus beaux rêves
‒ voici de purs secrets, un vrai
requiem d'enfant usé.
p.59
et la lune
l’horizon d’un monde
chaque jour inachevé
un ramassis de lumière
creusé dans le noir
et la lune commence à plein
se vide en un mois
grand cercle d’ombre
découpé en plein ciel
Histoire naturelle ‒ requiem
Je ne résiste pas, l'image est claire, l'ouvrage perdu.
Mon visage ne vaut pas la fleur inverse. La tête
première dix mille enfants sont une promesse,
un livre ouvert. L'air est une fable, les lèvres
aussi. Qui aime qui tue dix mille enfants
le ciel qui reste le ciel ne respire plus.
J'invente les rêves que je n'aurai jamais.
p.88
Je ne m’efface pas, l’image est claire : c’est la surface qui m’abandonne, l’origine qui d’un trait m’annule.
le deuil est (...)
un vêtement troué qu'on ne peut
recoudre ni abandonner.
Là où le langage s’arrête.
Il faut constamment reprendre cette atteinte de l’os.
Imaginer la façon dont le langage absorbe l’événement.
C’est la raison des fleurs.