Michel Aglietta

La capacité de lobbying de ces entreprises géantes [les GAFAM] permet d'étouffer toute investigation concernant leurs pratiques. De même que les banques d'affaires avant 2008, les entreprise possédant les plateformes internet se protègent de toute critique et de toute réglementation par la complexité de leurs produits et de leurs services.

Car les GAFAM sont des monopoles internet qui agissent avec un pouvoir supérieur à celui des gouvernements. Ainsi Facebook a 2,270 milliards d'utilisateurs (près de 1 milliard de plus que la population de la Chine) qui lui fournissent des données gratuites.

L'irruption des géant de l'internet, les GAFAM [...] dans les services de paiement, la gestion de la monnaie, les services financiers, l'assurance et le crédit est un enjeu majeur pour les sociétés démocratiques. [...] Il s'agit, en effet, d'un processus autorenforçant qui conduit irrémédiablement à un pouvoir de monopole privé sur la monnaie.

Une solution partielle est une blockchain gouvernée par l’autorité monétaire, solution adoptée par la Chine, où un petit nombre de blockchains privés, toutes étant permissionnées, donc restreintes, dans l’acceptation des noeuds. En tous les cas, une autorité centrale est réintroduite par ceux qui ont autorité à modifier les paramètres du protocole. Il est donc impossible de se passer de tiers de confiance.

Ce système décentralisé [de la blockchain] est automatisé est donc réputé fiable pour ceux qui croient à l’inaltérabilité des procédés cryptographiques […]. Cependant, il existe déjà de nombreux piratages visant les cryptomonnaies. En outre, l’anonymat des transactions attire les activités illicites. Par ailleurs, le protocole blockchain a fonctionné jusqu’ici avec des masses de données restreinte. Mais une mutation technologique et organisationnelle deviendrait nécessaire pour un changement d’échelle, […] Enfin, et surtout, la blockchain est une technologie qui fait une consommation importante d’électricité, serait un désastre environnemental si jamais elle devait se diffuser sans permission.

En affirmant qu’il s’agit d’une monnaie, les promoteurs de Bitcoin veulent s’affranchir de tout pouvoir monétaire central, donc de la souveraineté politique qui le légitime.

Un cryptoactif est un actif enregistré sous forme numérique qui ne représente ni une créance financière, ni un passé financier de quelque personne physique ou morale que ce soit, et qui ne constitue pas non plus un droit de propriété sur une identité.

… mettons les mains dans le cambouis d’une technologie centrale, le blockchain, qui, avec la technologie des Fintech, sécrète une révolution profonde, celle des réseaux de paiement ouverts.

… en Chine, il devient monnaie courante de payer non plus avec son téléphone portable–technologie déjà dépassée !– mais avec son propre visage, par le biais de caméras à reconnaissance faciale, disposée en lieu et place de nos bonnes vieilles [sic !] caissières de supermarché, le smartphone avec application étant relégué, quant à lui, aux marchés ruraux des contrées reculées.

Les avoirs du secteur privé en Bitcoin sont aujourd’hui fortement concentrés, entre peu de mains, contrairement à la promesse de son fondateur qui prétendait en faire la monnaie mondiale du peuple. [… ] Les 1 000 principales adresses (0,005 % du total) représentent environ 35 % de tous les Bitcoins et les 10 000 premières (0,05 % du total) en détiennent 56 %. […] étant donné qu’un même investisseur peut avoir plusieurs adresses, la concentration réelle peut même être plus élevée.

Une part importante du volume des transactions de Bitcoin est réglée en euros (environ 10–15 % à la fin des années 2010), suggérant une exposition non négligeable de la zone euro aux actifs cryptographiques.

Ce sont les États qui ont institué les marchés et les ont strictement régulés et, bien sûr, non l’inverse.

La société n’est pas une addition d’individus reliés par des échanges marchands.

Car aujourd’hui, l’hégémonie du dollar est au défi des ruptures du XXIe siècle. La devise clé bas de l’aile car des temporalités multiples se sont transformées. Parmi elles, les changements drastiques dans la politique américaine eu égard aux traités internationaux et aux relations bilatérales avec la Chine. [… ] comment préserver une devise clé si le pays émetteur dénonce ses engagements internationaux et s’engage dans une politique protectionniste, conflictuelle, où le système des paiements en dollar devient un instrument de domination unilatérale? Contradiction logique et politique ! Et problème quasi assuré d’instabilité financière internationale.

La monnaie est un bien public procédant d’une souveraineté politique qui légitime ses attributs dans le système des paiements, celui d’unité de compte et celui de prêteurs en dernier ressort. Ainsi, toute notion de monnaie internationale est-elle nécessairement incomplète à l’échelle globale par l’absence de souveraineté universelle.

Notre idée maîtresse tient au creux de la main : nous cheminerons du monde actuel caractérisé par une devise clé vers un multilatéralisme assumé et, nous l’espérons, coopératif à défaut de solidaire.

La monnaie est liée à la souveraineté, et celle-ci est une et indivisible dans l’espace politique où l’appartenance sociale est mise en forme et constitutionnalisée.

La monnaie n’a aucune importance dans les économies marchandes. [… ] La monnaie n’est alors qu’un épiphénomène, une contingence technique. Peu importerait qu’elle émane d’une autorité centrale liée à l’État souverain, ou bien qu’elle se présente à nous sous forme de bitcoin de libra. Nous montrerons dans cet ouvrage à quel point cette analyse est radicalement erronée, en ce qu’elle ignore aussi bien le rôle des rapports interpersonnels et sociaux, que la dimension psychologique du lien social.

Qui peut ignorer les enjeux stratégiques liés au rôle international du dollar comme monnaie d’échange et de réserve ? Ou bien encore les efforts de la Chine pour hisser sa devise au rang de monnaie mondiale ? Ou encore que, sans l’Euro, l’Union européenne serait aujourd’hui éclatée ?

« En Europe, enfin, la division politique entre Nord et Sud et entre est est ouest minent la confiance dans la monnaie unique. »

Benoît Cœuré.