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Citations de Michèle Corrotti (31)


Ses rudes mains fripées s'affairaient autour de la farine en puits, des gros oeufs, du beurre en motte pâle. Et comme l'air sentait bon quand Anghju lui préparait une amandullatta. Pietro Arrivabene avait à nouveau dix ans, il cassait les noisettes qui doraient ensuite quelques minutes dans le sucre. Le petit filet de fumée qui s'échappait de la casserole indiquait que la friandise était prête. Et Anghju versait le caramel sur les grandes feuilles de papier huilées.
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Un mari trompé, c'est injuste, fait toujours piètre figure. M. Chardon, malgré ses efforts, ne pouvait s'empêcher de témoigner à sa femme le profond mécontentement qu'il ressentait.
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C'était en fin d'après-midi; Gabriel s'était étrillé, bouchonné, il empestait l'eau de senteur à plein nez. Il avait à grand renfort de pommade tenté de discipliner sa chevelure, mais sans résultat. Sa hure de loup, ainsi l'avait baptisée obligeamment son père - se révélait rebelle aux soins les plus obstinés. Il marchait à grands pas, se retenant pour ne pas bondir, se laisser aller à quelque entrechat ou autre extravagance. Le coeur ne lui battait plus dans la poitrine mais dans la gorge, et il lui semblait devoir étouffer d'excitation. Mazette! Quéquette, alouette je te plumerai, et la tête et le bec... elle était à lui, la petite caille. Elle lui tombait toute rôtie... dans la gueule. Comme on l'envierait...
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De retour à Bastia, dans l'attente d'une autre mission, Gabriel retrouva ses joyeux camarades. Gercourt, Fontanel, Tiffet de la Mothe, son cher Denis et d'Arcy, qui était décidément un drôle de corps. Il ne parlait que de femmes, mais c'était la croix et la bannière pour l'entraîner dans quelques parties fines. Pourtant, avec son visage de séraphin, il avait tout du bourreau des coeurs. Fallait-il que ce soit lui, Gabriel au masque de gargouille, qui pousse ce gandin à la débauche? Le monde était mal fait.
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Réfugiée sur un prie-Dieu, Maria Coronata rêvait. A cette heure, l'oratoire Saint-Roch était presque désert. Elle goûtait là une solitude qui lui causait tant de plaisir que s'en était un péché. Le palazzo Castarola bruissait des allées et venues de trop de gens, la famille, les domestiques, les fournisseurs, les locataires, les visiteurs... Et Paolina insatiable qui la suivait partout, voulant sans cesse qu'on joue avec elle, qu'on lui raconte une histoire, qu'on réponde à ses questions... Les enfants sont une engeance bien fatigante! Mieux vaut la compagnie d'un chien. Ce n'est pas le gentil saint qui la contredira, lui qui pestiféré et abandonné fut nourri chaque jour d'un petit pain que son chien lui portait dans un petit panier. Il n'y a pas à dire, saint Roch était plus avisé que sant' Antonio del Porco dans le choix de son acolyte. Mais à tout prendre, mieux vaut peut-être la compagnie d'un homme?
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Pietro Arrivabene, requinqué par sa bonne nuit de sommeil, déambulait, intrigué par la foule, amusé par le contraste entre les tenues européennes et la bigarrure indigène. La végétation affichait une santé insolente. Des palmiers, des magnolias, des forsythias, des micocouliers, les inévitables eucalyptus et d'autres arbres luxuriants que le consul ne reconnaissait pas.
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Pour chasser cette tristesse qui lui arrivait par bouffées, Pietro Arrivabene connaissait des remèdes, les femmes et les jouets. Des dames, il n'était pas en peine d'en trouver. On lui avait suggéré des adresses. Bastia semblait richement pourvue en bordels et autres lieux de débauche. Et même cet ignoble Arcangelo, qu'il avait fallu faire libérer la semaine précédente, après qu'il eut pissé, un soir de beuverie, sur le monument aux morts de la place, lui avait glissé les noms de quelques compatriotes peu farouches. Mais sans être bégueule, le consul avait toujours préféré la grâce inattendue des amours de hasard aux rencontres tarifées. Il attendrait une bonne fortune.
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S'il était en Europe un Etat où les nobles tenaient encore le haut du pavé, c'était le royaume de France. Personne ne connaissait la liste exacte de ceux qui pouvaient prétendre figurer à bon droit dans cet ordre privilégié qu'on appelait la noblesse. Les voies pour y pénétrer et s'y faufiler étaient nombreuses. Dans les salons, des théoriciens improvisés cherchaient à établir l'origine de cette catégorie privilégiée de sujets du roi. Descendaient-ils des guerriers francs? Un de leurs ancêtres s'était-il un jour croisé? Sans réclamer, comme la soeur du baron de Thunder-ten-tronckh, plus de soixante et onze quartiers, sauraient-ils exciper au moins de quatre du côté paternel et maternel? A L'opposé, dans l'île de Corse, les titres de noblesse étaient rares. Ceux qui les portaient avaient été récompensés sur le continent et les descendants des seigneurs du Sud, trop nombreux pour se distinguer des autres habitants, se souvenaient surtout de l'hostilité qu'avait toujours manifestée la puissance souveraine génoise à l'égard de leurs ancêtres. Le transfert de souveraineté de Gênes à la France changeait la donne.
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Les morts ne sont vraiment morts que pour ceux qui les ont connus vivants.
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L'assistance était maigre sur la grande place. Ce serait une fête nationale sans entrain, gâchée, disait-on autour de lui, par le temps maussade. Dans le port, le courrier d'Italie, la Città di Savona, faisait son entrée. Elle transportait chaque semaine quelques tonnes de marchandises et quelques dizaines de passagers entre Gênes, Livourne et Bastia, et poursuivait sa route jusqu'à Porto Torres, sur la côte sarde.
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Les maisons sortaient de l'ombre. Le soleil s'éveillait. Ses premiers rayons éclaboussaient la mer et répandaient sur les quais, les façades, les toits, et plus loin sur les pentes des collines, une lumière jaune. Dans la douceur de ce matin de septembre, le consul regardait les pêcheurs démailler, les barques remuer au rythme du clapot, le linge pavoiser les façades austères et, au-dessus des lauzes tachées de brun, les mouettes tirer des bordées, cisaillant le ciel de leurs corps robustes.
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Le linge blanc humecté d'eau vinaigrée glisse sur la peau aussi tendue que celle d'un tambour. Il ascensionne le ventre montueux, dévale la pente vers la combe ombreuse entre les seins, caresse le cou de taureau, glace d'une mince pellicule les bras énormes, revient sur le bas-ventre et parcourt les cuisses en troncs d'arbres. Puis la main menue trempe de nouveau le linge dans la bassine et s'attaque aux pieds, polissant chaque orteil avec minutie. L'énorme masse placide ne siffle ni ne souffle. Pas un frissonnement, pas une ride sur la surface de cette chair étale. Et c'est le tour du chiffon sec qui revient essuyer toute trace d'humidité sur la grande chose laiteuse.
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Gjacumu, versez-moi un autre café. Puis, si vous le voulez, nous irons faire un tour en ville. Nous éviterons "diplomatiquement" pour l'instant la librairie de mon ami Sacripanti. J'ai envie de revoir Bastia, les rues, même si aujourd'hui elles sont boueuses, et les gens. Histoire de ravauder le temps, comme ma chère Anghju rapiéçait ses torchons de cuisine.
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Non, on ne vivait pas qu'une vie, mais plusieurs, si différentes qu'il fallait faire effort pour s'attribuer les faits et gestes de cet étranger qui se réclamait de nous.
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Le lendemain, après un bon gîte, les chevaux marchent de nouveau gaiement et il ne leur faut guère que six heures pour arriver en vue de la Bastia. Elevée sur une solide avancée rocheuse en contrebas du village de Cardo, protégée côté montagne par son fossé, la tour sur laquelle flotte l'étendard de Saint Georges est flanquée sur le ravin de deux édifices, dont l'un plus imposant que l'autre, et d'un moulin. Le Cortinco n'a pas oublié que son père y fut enfermé quelque temps lors de la révolte des caporaux. Il s'avance impérieusement et hèle le soldat de garde.
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Tuer un homme n'est pas dans ses habitudes. Giovanni, assis sur une pierre, laisse son regard dériver au loin sur le trait bleu de la mer qui, biffant l'horizon, marque les limites de sa contrée natale. Dans son dos, la Rocca di Sala, la vieille citadelle des Lombards réduite à l'épure de ses remparts et, plus haut encore, la denture de marbre des montagnes.
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Il est allé deux fois à Rome. Quand fut décrété dans toute la chrétienté le Saint Jubilé. C'était son premier voyage hors de l'île. Il s'en souvient d'autant plus qu'il y avait eu un drame. Des pèlerins qui avaient embarqué en Casinca pour obtenir le pardon de leurs péchés s'étaient noyés pendant la traversée. La date du second séjour, il ne pouvait l'oublier non plus. En effet, il était sur place quand arriva la funeste nouvelle de la prise de Constantinople. La tristesse devant les solitudes de Rome, l'admiration pour ces restes remarquables, ces arcs, ces temples, ces thermes corrodés, les aqueducs, les théâtres, les tombeaux, les obélisques, l'étonnement de se trouver dans une ville si majestueuse, tous ces sentiments confus il ne les a pas oubliés non plus. Aujourd'hui toutefois, il n'est pas question de cité antique ni de cité papale. Il ne franchira aucune porte.
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Morte sa femme et mort l'enfant. Mort aussi Gobbetto qui repose dans le petit cimetière de San Salvatore au-delà de la mer. Il sent la camarde qui le poursuit et l'attrape aux chausses.
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A première vue, Bastia ne le dépayse guère. Avec ses maisons hautes, on dirait une petite Gênes. La rue principale, longue et étroite, le conduit jusqu'à la demeure du signor Nicolao Santelli, dont on lui a dit qu'il est le meilleur ami des Italiens pauvres.
Ce philanthrope, à qui il remet un billet, le reçoit avec les manières d'un homme rompu à l'exercice de la solidarité envers ses compatriotes. Peu curieux de connaître les raisons de sa présence, il ne s'inquiète que du montant de son pécule et rassuré de le savoir solvable lui conseille la maison Tellier, où on lui procurera un couchage honnête et un souper revigorant. Qu'il se présente demain chez le capitaine Casalta qui lui fournira les moyens de poursuivre son voyage. Giovanni est ému de constater que la sollicitude de l'oncle l'accompagne à distance et que, même dépourvu de tout viatique, un Italien en difficulté peut toujours compter sur un autre Italien. A deux pas du marché, l'hôtel Tellier dresse sa bâtisse imposante. Dès le vestibule, le décor fastueux de stucs, de dorures, de glaces, de lustres et de lampes impressionne le voyageur.
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Un matin, Arrivabene défit son bracelet-montre Lorenz, souvenir milanais d'un autre lui. Il caressa de l'index l'anneau de peau blanche et douce qui enserrait son poignet, puis ouvrit le tiroir du chevet qui ne contenait, pliés dans une enveloppe, qu'une photo de Venise et son laconique premier billet. Il y jeta la montre. Il avait décidé d'oublier le temps. Quitte à être vaincu, à errer hors du monde, autant refuser désormais de savoir les dates des batailles perdues.
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