Un beau roman qui nous raconte dix ans de la vie d'un homme nommé consul d'Italie à Bastia dans le milieu des années 1930. Ce livre parle de politique, de guerre, mais aussi d'amour... Il nous fait voyager de la Corse à Rome, puis en Ethiopie à Addis Abeba, puis à Djibouti... puis à nouveau Bastia! Ce roman écrit à quatre mains, bien documenté, intelligent, au style alerte nous offre de fabuleuses descriptions de la ville et nous la fait aimer... Un très beau livre, deux auteurs à découvrir.
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Cinq étoiles, c'est beaucoup. Mais c'est un coup de chapeau à un premier roman assez réussi. Avec des scènes fidèles à l'esprit des années trente que j'ai bien connu. Pas les années trente, bien sûr, mais les gens qui l'avaient vécu. Un moment de bascule où le monde ancien s'était effondré avec la saignée de 14/18 et où la modernité s'avançait en pointillé. C'est aussi pour troubler l'algorithme de placement de la photo de l'auteure et la remettre en haut de l'affiche.
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Ses rudes mains fripées s'affairaient autour de la farine en puits, des gros oeufs, du beurre en motte pâle. Et comme l'air sentait bon quand Anghju lui préparait une amandullatta. Pietro Arrivabene avait à nouveau dix ans, il cassait les noisettes qui doraient ensuite quelques minutes dans le sucre. Le petit filet de fumée qui s'échappait de la casserole indiquait que la friandise était prête. Et Anghju versait le caramel sur les grandes feuilles de papier huilées.
Pour chasser cette tristesse qui lui arrivait par bouffées, Pietro Arrivabene connaissait des remèdes, les femmes et les jouets. Des dames, il n'était pas en peine d'en trouver. On lui avait suggéré des adresses. Bastia semblait richement pourvue en bordels et autres lieux de débauche. Et même cet ignoble Arcangelo, qu'il avait fallu faire libérer la semaine précédente, après qu'il eut pissé, un soir de beuverie, sur le monument aux morts de la place, lui avait glissé les noms de quelques compatriotes peu farouches. Mais sans être bégueule, le consul avait toujours préféré la grâce inattendue des amours de hasard aux rencontres tarifées. Il attendrait une bonne fortune.
Les maisons sortaient de l'ombre. Le soleil s'éveillait. Ses premiers rayons éclaboussaient la mer et répandaient sur les quais, les façades, les toits, et plus loin sur les pentes des collines, une lumière jaune. Dans la douceur de ce matin de septembre, le consul regardait les pêcheurs démailler, les barques remuer au rythme du clapot, le linge pavoiser les façades austères et, au-dessus des lauzes tachées de brun, les mouettes tirer des bordées, cisaillant le ciel de leurs corps robustes.
Pietro Arrivabene, requinqué par sa bonne nuit de sommeil, déambulait, intrigué par la foule, amusé par le contraste entre les tenues européennes et la bigarrure indigène. La végétation affichait une santé insolente. Des palmiers, des magnolias, des forsythias, des micocouliers, les inévitables eucalyptus et d'autres arbres luxuriants que le consul ne reconnaissait pas.
L'assistance était maigre sur la grande place. Ce serait une fête nationale sans entrain, gâchée, disait-on autour de lui, par le temps maussade. Dans le port, le courrier d'Italie, la Città di Savona, faisait son entrée. Elle transportait chaque semaine quelques tonnes de marchandises et quelques dizaines de passagers entre Gênes, Livourne et Bastia, et poursuivait sa route jusqu'à Porto Torres, sur la côte sarde.
ITV - Interview de la présidente Michèle Corrotti