Lundi 1er avril 1940 - Cette fois, c'est décidé! (Et ce n'est pas un poisson d'avril.) J'écris sérieusement mon journal puisque je n'ai personne d'autre à qui me confier. Et tant pis si maman regarde ce cahier. Du reste, je l'emmènerai si j'arrive à me sauver avec Yvette Kerneis et les soldats anglais.
J'ai tout prévu, car j'y pense depuis longtemps. Je n'aurai aucun remords puisque maman sera bien contente. D'ailleurs, elle aura Nicole, ma soeur, pour se consoler...
Quand j'étais petite, chaque fois qu'on m'attrapait, je pensais " Ah, comme je voudrais mourir!" Maintenant, je me dis que c'est lâche. Je ne souhaite plus mourir mais continuer à vivre. Sans elle, bien entendu. Ah! elle serait bien contente si je mourais. Elle le dit bien, parfois : " Ah! mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour avoir une fille pareille..." Je ne comprends pas les parents qui ont des enfants si c'est pour les rendre malheureux. Moi, je n'en aurai jamais parce que je ne veux pas qu'ils le soient.
Avant, je lui disais tout ce que je faisais. Maintenant, je ne lui dis plus rien. Heureusement, j'ai une grand consolation : écrire. Il y a longtemps déjà que je veux commencer ce journal, mais j'ai trouvé que ce serait plus gentil d'écrire tous les jours à papa, qui est au front, et j'ai un travail fou, avec mes devoirs et toutes les choses à rattraper. .
178 - [Robert Laffond, 1974, p. 15]