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Citation de Charybde2


Un jour comme les autres, elle aurait passé la matinée à la maison à boire du thé. Sa chambre n’ayant ni stores ni rideaux aux fenêtres, dès les premières lueurs du jour, elle se réveillait en ouvrant subitement les yeux. Mais ce matin-là, elle était sortie tôt, un thermos en inox et en verre sous le bras, rempli de son thé préféré, un Darjeeling floral et léger. Elle achetait du thé en vrac tous les trois mois à la Casa Pereira da Conceição, une célèbre boutique de thé et café au centre-ville de Lisbonne. C’était l’un des points d’orgue de sa vie sociale. Les petits vieux qui tenaient le magasin, qu’elle connaissait depuis qu’elle était petite, n’étaient plus. Le dernier avait disparu en début d’année. À présent, c’était une jeune femme qui accueillait les clients, aussi avenante et souriante qu’une hôtesse de l’air. Durant le court trajet qui menait à l’entrepôt, elle croisa un homme s’apprêtant à remonter dans sa voiture de livraison de pain après avoir accroché un sac en papier kraft à la porte de l’épicerie d’en face. Il la suivait d’un regard intéressé. Elle lui fit un signe de tête. En ce matin de printemps, elle était étonnamment de bonne humeur. Le soleil frappait son visage. Il n’y avait personne d’autre dans la rue. Elle hésita. L’homme au pain répondit par une grimace libidineuse. Le doute n’étant pas permis, elle réprima son envie de traverser et de lui mettre une paire de claques. Elle lui aurait bien cassé la figure. Cela n’aurait pas été très compliqué si elle l’avait voulu. Malgré sa maladie, la musculation et les arts martiaux qu’elle pratiquait chaque jour entre 15 heures et 19 heures auraient largement suffi pour faire disparaître la mimique répugnante de son visage. Mais elle ne voulait pas attirer l’attention. Ces jours-ci n’avaient rien d’ordinaire.
L’heure était enfin venue de mettre son plan en pratique. Elle était presque arrivée à l’entrée de l’ancien entrepôt, avec sa façade vieux rose dont une partie de la peinture s’était écaillée au fil du temps. Le bâtiment était décoré de hauts-reliefs et de pierres de taille, il s’agissait d’un ancien dépôt de marchandises appartenant à une demeure seigneuriale. L’entrée était légèrement en retrait de la route, sur un large trottoir pavé, en partie cachée par les arbres tropicaux de Lisbonne. Elle regarda le ciel bleu à travers les branches vertes et luxuriantes des majestueux tijuana tipu. Devant le portail en bois, verrouillé par un lourd cadenas, se démarquait de la blancheur des pavés une date en pierres bleuâtres : 1922.
Elle avait trois jours pour terminer la « chambre d’hôtes ». Tout devait être parfait pour accueillir l’homme qui devait l’occuper. Elle déverrouilla le cadenas qui attachait l’imposante chaîne couverte de rouille et s’assura qu’aucun passant ne la remarquerait. Il faudrait alors qu’il s’arrête au niveau des deux arbres qui flanquaient l’entrée.
Elle disposa les outils sur un plan de travail et vérifia minutieusement la machine à souder. Tandis qu’elle s’affairait, de sa bouche sortaient des paroles haineuses à la manière d’incantations. Ses tempes transpiraient. L’homme qui avait détruit sa vie méritait le châtiment qu’elle préparait. Il avait arraché ce qu’il y avait de meilleur en elle comme on arrache de la mauvaise herbe. Il avait semé la destruction derrière lui, provoqué la maladie. C’était un assassin, sans aucun doute. Il avait des dettes à régler et le temps était venu de passer à la caisse.
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