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Citation de enzo92320


(84%) LIBERTÉ DU MATIN, LIBERTÉ DU SOIR

Quand Picasso a peint son premier tableau cubiste, il avait vingt-six ans : dans le monde entier, plusieurs autres peintres de sa génération se sont joints à lui et l'ont suivi. Si un sexagénaire s'était alors précipité pour l'imiter en faisant du cubisme, il serait apparu (et à juste titre) grotesque. Car la liberté d'un jeune et la liberté d'un vieux sont des continents qui ne se rencontrent pas.

« Jeune, tu es fort en compagnie, vieux, en solitude », écrivit Goethe (le vieux Goethe) dans une épigramme. En effet, quand les jeunes gens se mettent à attaquer des idées reconnues, des formes installées, ils aiment se regrouper en bandes ; quand Derain et Matisse, au début du siècle, passaient ensemble de longues semaines sur les plages de Collioure, ils peignaient des tableaux qui se ressemblaient, marqués par la même esthétique fauve ; pourtant, aucun des deux ne se sentait l'épigone de l'autre – et, en effet, ni l'un ni l'autre ne l'étaient.

Dans une solidarité enjouée, les surréalistes saluèrent en 1924 la mort d'Anatole France par une nécrologie-pamphlet mémorablement bête : « Tes semblables, cadavre, nous ne les aimons pas ! » écrivait Eluard, âgé de vingt-neuf ans. « Avec Anatole France, c'est un peu de la servilité humaine qui s'en va. Que ce soit fête le jour où l'on enterre la ruse, le traditionalisme, le patriotisme, l'opportunisme, le scepticisme, le réalisme et le manque de cœur ! » écrivait Breton, âgé de vingt-huit ans. « Que donc celui qui vient de crever [...] s'en aille à son tour en fumée ! Il reste peu de chose d'un homme : il est encore révoltant d'imaginer de celui-ci, que de toute façon il a été », écrivait Aragon, âgé de vingt-sept ans.

Les mots de Cioran me reviennent à propos des jeunes et de leur besoin « de sang, de cris, de tumulte... » ; mais j'ai hâte d'ajouter que ces jeunes poètes qui pissaient sur le cadavre d'un grand romancier ne cessaient pas pour autant d'être de vrais poètes, des poètes admirables ; leur génie et leur bêtise jaillissaient de la même source. Ils étaient violemment (lyriquement) agressifs envers le passé et avec la même violence (lyrique) dévoués à l'avenir dont ils se considéraient les mandataires et qu'ils voyaient bénir leur joyeuse urine collective.
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