Monique Saint-Hélier

Il y a des femmes écrivains, normalement maintenant tout le monde le sait. Il y a des écrivains suisses, on le sait plus ou moins. Mais pour les femmes écrivains suisse, là il faut tout de même une bonne pelle pour les trouver. Heureusement, mon frère est un genre de tractopelle humain déterrant à grands godets les écrivains oubliés.



On arrive donc quelque part vers le Juras, on ne sait pas trop où. Il y a une famille, les Aléracs. L'une de ces familles jadis grandes, vivant leur déclin au milieu des restes de sa splendeur. Il ne reste qu'une jeune fille, Carolle, et son grand-père. Au milieu des pièces trop vastes qu'on ne peut plus chauffer, des meubles anciens, de l'odeur de poussière et de l'humidité permanente. Les cartes des pays où jadis partaient leurs navires pendent encore au mur ; un domestique à moitié fou cuisine encore leurs repas. Mais les traites et les factures s'entassent, la pile monte, et un jour...



L'hiver est là. Et dans la neige, indifférent au froid et à ses vêtements trempés, erre le rival des Aléracs. Il se nomme Jonathan Grew. Deux décennies auparavant sa famille est arrivée dans le pays, bien décidée à le conquérir peu à peu, à coup de prêts et d'avances devenant un jour expulsions et saisies. Dans sa chambre d’orpheline, Catherine froide et muette objet de son amour, ressasse ses rancœurs de fillette pauvre ayant des amis riches. Dans sa petite maison, usant ses yeux à son métier de couturière, Mademoiselle Huguenin se déchire entre son amitié pour les Aléracs et son amour secret pour Jonathan Grew.



Et au-dessus de tout cela, lourd de son expérience et de celle de ses ancêtres, passe de son pas élégant le grand-père Alérac. Conscient que ses pas le portent à la faillite et la mort, mais faisons ce qu’il y a à faire avant, n’est-ce pas…

Etrange roman où des esquisses de personnages se meuvent dans un univers laiteux, flou, mystérieux. L'antique famille Alérac se meure dans un chateau (peut-être n'est-ce qu'une ferme) où les ancêtres ne se reconnaissent plus, quelque part en Suisse romande ou en Angleterre, impossible de ne rien affirmer qui soit certain. Une jeune fille, la dernière, fascine les hommes. Trois demandes en mariage. D'autres se sont sans doute aimés, se sont peut-être fait du mal, jadis, au creux d'un passé secret qui ne passe pas. Tout se déroule dans les univers intérieurs de personnages qui ne s'avouent pas. L'atmosphère est de brouillard. Le lecteur en est charmé, mais il reste sur le seuil d'un livre peut-être trop bien écrit. L'emportera-t-il sur une île déserte ? Il faudrait pour cela que l'île se situe très au Nord.

J'ai dû lire ce livre pour l'école et contrairement à ce à quoi je m'attendais en regardant la couverture ou en lisant le résumé, il m'a beaucoup plu. J'ai aimé comment l'auteur nous laissait pénétrer les pensées profondes et intimes de chaque personnage, comme chaque passage du livre était raconté avec tellement de sensibilité... Finalement, on ressent de l'attachement pour tous les personnages, même ceux qui en apparence ont l'air égoïstes voire cruels avec les autres. Ils ont tous une face plus sombre, mais ils ont aussi tous des regrets, des blessures cachées...



Par contre, si l'on n'est pas très attentifs, beaucoup d'informations subtiles sur les personnages, leur liens les uns avec les autres ou des références à des évènements passés nous échappent, c'est parfois à nous de nous creuser la tête pour comprendre, reconstituer l'arbre généalogique de la famille, sinon il y a certains aspects de l'histoire qui ne prennent pas tout leur sens... Mais passer à côté de certains détails n'empêche pas d'apprécier le roman dans sa globalité...



Je ne sais pas si c'est moi qui invente, mais il me semble qu'il s'en dégage un sentiment général de tristesse et de mélancolie, c'est l'impression que j'ai eue en refermant le livre.