HOMÈRE L'idéal héroïque de l'Iliade selon Jean-Pierre Vernant (France Culture, 1981)
L'émission des "Chemins de la connaissance", par Marie-France Rivière, diffusée le 9 janvier 1981 sur France Culture. Présence : Jean-Pierre Vernant.
A ceux qui fuient ne viennent ni la puissance ni la gloire.
C’est sans honte que les mortels accusent les dieux de tous les maux.
De nous, disent-ils, vient leur peine. De nous, disent-ils, vient leur misère.
Mais ils sont en fait les seuls à blâmer. Eux et leur terrible folie.
Chacun est exposé à perdre un être cher, plus proche qu'un ami, un frère sorti du même sein, un fils : la part une fois faite aux pleurs et aux sanglots, il s'en tient là ; les Parques ont fait aux hommes un cœur apte à pâtir. Mais, à celui-là, il ne suffit pas d'avoir pris la vie du divin Hector ; il l'attache à son char, il le traîne tout autour du tombeau de son ami. Ce n'est là ni un beau ni un bon parti.
Chant XXIV, discours d'Apollon.
J'ai abandonné bien des richesses en empruntant cette route,
Mais j'en retrouverai bien d'autres sur le chemin du retour ;
L'or, le bronze aux reflets rouge, les femmes à la peau claire
Et le gris scintillant du fer composeront mon immense butin.
Comme les vents sonores, soufflant en tempête, quand la poussière abonde sur les routes, la ramassent et en forment une énorme nue poudreuse, de même la bataille ne fait plus qu'un bloc des guerriers. Tous brûlent en leur cœur de se massacrer avec le bronze aigu au milieu de la presse. La bataille meurtrière se hérisse de longues piques, des piques tailleuses de chair qu'ils portent dans leurs mains. Les yeux sont éblouis des lueurs que jette le bronze des casques étincelants, des cuirasses fraîchement fourbies, des boucliers éclatants, tandis qu'ils avancent en masse. Il aurait un cœur intrépide, l'homme qui pourrait alors trouver plaisir, et non chagrin, à contempler telle besogne.
Chant XIII.
« Honte à vous ! Argiens ! Ah ! les lâches infâmes, sous leur magnifique apparence ! Où s'en sont donc allées vos vantardises ? Nous étions des preux, à nous croire, quand, à Lemnos, vous vous décerniez de vaines louanges, tout en mangeant force filets de bœufs aux cornes droites, en vidant des cratères remplis de vin à pleins bords. Chacun de nous tiendrait, seul, au combat, face à cent, à deux cents Troyens : et aujourd'hui nous ne sommes pas même à la taille d'un seul, à la taille d'Hector, qui va dans un instant livrer nos nefs à la flamme brûlante. »
Chant VIII, discours d'Agamemnon.
Moi aussi je mourrai et serai enseveli. Mais si tel est mon destin, que ce soit dans l'éclat de ma gloire.
L'Iliade, chant XVIII

Ainsi que des moissonneurs, qui, face les uns aux autres, vont, en suivant leur ligne, à travers le champ, soit de froment ou d'orge, d'un heureux de ce monde, et font tomber dru les javelles, ainsi Troyens et Achéens, se ruant les uns sur les autres, cherchent à se massacrer, sans qu'aucun des deux partis songe à la hideuse déroute. La mêlée tient les deux fronts en équilibre. Ils chargent comme des loups, et Lutte, qu'accompagnent les sanglots, a plaisir à les contempler. Seule des divinités, elle se tient parmi les combattants. Aucun autre dieu n'est là : ils sont assis, tranquilles, en leur palais, là où chacun a sa demeure bâtie aux plis de l'Olympe. Ils incriminent, tous, le Cronide à la nuée noire : ils voient trop bien son désir d'offrir la gloire aux Troyens. Mais Zeus n'a souci d'eux. Il s'est mis à l'écart, et, assis loin des autres, dans l'orgueil de sa gloire, il contemple à la fois la cité des Troyens, et les nefs achéennes, et l'éclair du bronze — les hommes qui tuent, les hommes qui meurent.
Chant XI.
Un petit rocher peut retenir une puissante vague.
Il n'est rien dont on ne se lasse, de sommeil, d'amour, de doux chants, de danse impeccable. De tout cela pourtant qui ne souhaite se gaver beaucoup plus que de combats ?
Chant XIII, Discours de Ménélas.