L'État n'est rien d'autre qu'une association d'individus qui sont d'accord entre eux pour se faire appeler l'État. Ils se sont fixé pour objectif d'exercer le monopole légal de la violence et de l'extorsion de fonds. Si l'impôt, payé sous la contrainte, est impossible à distinguer du vol, il s'ensuit que l'État, qui subsiste par l'impôt, est une vaste organisation criminelle, bien plus considérable et efficace que n'importe quelle mafia privée ne le fut jamais.
Pour résumer, la philosophie sociale utilitariste considère comme « bonne » toute politique qui produit « le plus grand bien pour le plus grand nombre », chaque personne comptant « également » dans cette somme, et le « bien » étant défini comme la plus grande satisfaction possible des désirs purement subjectifs des individus composant la société. A l'instar de l'économiste (nous y reviendrons plus loin), l'utilitariste se présente comme « scientifique » et« non engagé », il soutient que sa doctrine est essentiellement neutre par rapport aux valeurs; il prétend ne pas imposer les siennes propres puisque ce qu'il propose n'est que la plus grande satisfaction possible des désirs et besoins de la population.
Or, cette doctrine n'est en rien scientifique et d'aucune manière exempte de jugements de valeur. En premier lieu, pourquoi « le plus grand nombre » ? Pourquoi l'éthique favoriserait-elle ce que veut le plus grand nombre à l'encontre du plus petit nombre ? Qu'y a-t-il de si admirable dans le « plus grand nombre » ? Imaginons une société où la vaste majorité des gens abhorrent les rouquins et rêvent de les tuer ; il se trouve en plus que les rouquins y sont peu nombreux. Devons-nous admettre qu'il est « bon » que la (vaste) majorité massacre les rouquins ? Sinon, pourquoi ? Le moins que l'on puisse dire est que l'utilitarisme ne suffit guère à construire une argumentation en faveur de la liberté et du laissez-faire. (p. 324)
Par exemple, l’économiste Tartempion prédit une récession sévère dans les six mois ; en réaction, les hommes de l’Etat prennent des mesures pour combattre la récession supposée imminente, le public et le marché boursier réagissent et ainsi de suite, si bien que la récession annoncée ne se produit jamais. Cela veut-il dire que Tartempion fondait ses prédictions sur des théories erronées, ou que les théories étaient correctes mais inappropriées à la situation réelle, ou au contraire qu’il avait “en fait” raison mais que la promptitude de la réaction a empêché l’événement que l’on redoutait ? Il n’y a aucun moyen d’en décider.