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Citation de sonatem


Nelly Sachs
Départ au désert
     
Simone Weil, in memoriam
     
Quitter soudain
la table du repas
et sans autre arme que son corps
s’en aller là-bas où les hyènes rient.
     
Rendre visite aux pierres
qui se levèrent elles aussi un jour
pour revêtir la raideur de millions d’années.
     
Tendre l’oreille pour épier
la faible plainte enfantine
au sein des sources cachées
qui veulent jaillir au monde
pour désaltérer les langues d’étoiles assoiffées —
     
le zodiaque des langues
qui lapent la lune opaline
et perdent tout leur sang
dans le frémissement rubis du soleil.
     
Se lever soudain de table
s’enfoncer dans la racine de minuit
laisser un éclair fulgurant
déchirer notre poussière.
Voir devant soi dans les sables du désert
     
le mirage vert des flammes végétales
la blancheur insoutenable des secrets dévoilés
la prière qui se déverse par les jointures de la mort
     
et les neiges éternelles de la rédemption —
     
     
Traduit de l’allemand par Barbara Agnese
     
Ce poème de Nelly Sachs, resté inédit jusqu’en 2005 (1), a probablement été composé en 1952-1953, période pendant laquelle furent écrits quelques-uns des cycles du volume. Et ‘personne n’en sait davantage’. Deux livres de Simone Weil, ‘La Pesanteur et la Grâce’ et ‘Attente de Dieu’, dans leurs éditions allemandes parues respectivement en 1952 et 1953, se trouvent dans la bibliothèque de Nelly Sachs. En juin 1952, celle-ci écrivait à Walter Berendsohn : « Simone Weil est une figure d'une telle grandeur qu’on la lit jusqu’aux larmes et à la syncope. Aucun espoir, aucune illusion, aucun rêve pour atténuer la souffrance, car avec cela on ne fait que boucher les fissures par lesquelles la grâce veut entrer. […] L’incarnation du Christ est ce qui est essentiel pour elle, pas les miracles. La sueur de mort et ce ‘‘Pourquoi m’as-tu abandonné ?’’. Ce symbole est très important aussi, je pense, pour tous les camps de concentration, et c’est dans cette distance, dans cet absence de l’Eternel que se trouve pour Simone Weil la présence. Elle emploie le même mot que le Zohar, le vide. Aimer le vide. Ne créer aucune représentation personnifiée de la consolation. » Nelly Sachs, Gedichte 1951-1970, éd. par A. Huml et M. Weichelt, in Werke, vol. 2, Suhrkamp, 2010, p . 237-238, 398.
     
(1) Erika Schweizer le publia dans son étude Geistliche Geschwisterschaft. Nelly Sachs und Simone Weil — Ein theologischer Diskurs, Mayence, Grünewald, 2005.
     
Poème et Note extraits de la revue Europe n° 1036-1037, août-septembre 2015 : "Henri Heine / Nelly Sachs".
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