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Citations de Nelly Sachs (60)


Nelly Sachs
Les métamorphoses du monde me tiennent lieu de pays natal.
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Nelly Sachs
LE PAPILLON

Quel bel au-delà

est peint dans ta poussière.

À travers le noyau de flammes de la terre,

à travers son écorce de pierre

tu fus offert,

tissage d’adieu à la mesure de l’éphémère.

Papillon,

bonne nuit de tous les êtres !

Les poids de la vie et de la mort

s’abîment avec tes ailes

sur la rose

qui se fane avec la lumière mûrie en ultime retour.

Quel bel au-delà

est peint dans ta poussière.

Quel signe royal

dans le secret des airs.



SCHMETTERLING

Welch schönes Jenseits

ist in deinen Staub gemalt.

Durch den Flammenkern der Erde,

durch ihre steinerne Schale

wurdest du gereicht,

Abschiedswebe in der Vergänglichkeiten Maß.

Schmetterling

aller Wesen gute Nacht !

Die Gewichte von Leben und Tod

senken sich mit deinen Flügeln

auf die Rose nieder

die mit dem heimwärts reifenden Licht welkt.

Welch schönes Jenseits

ist in deinen Staub gemalt.

Welch Königszeichen

im Geheimnis der Luft.



ÉCLIPSE D’ÉTOILE
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COMBIEN LÉGÈRE
     
Combien légère
sera la terre
nuage simplement d'amour vespéral
si devenue musique en sa délivrance
la pierre avance dans sa fuite
     
et les rochers qui
cauchemars accroupis
sur la poitrine de l'homme
font jaillir des veines
la pesante mélancolie.
     
Combien légère
sera la terre
nuage simplement d'amour vespéral
si la vengeance chauffée au noir
qu'attira magnétiquement
contre son habit de neige
l'ange de mort
succombe froide et paisible.
     
Combien légère
sera la terre
nuage simplement d'amour vespéral
si tout ce qui est étoile disparaît
dans un baiser de rose
fait de néant...
     
     
Fuite et Métamorphose (1956-1958)
pp. 113-114
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Nelly Sachs
     
Abrités sont les amants
sous le ciel emmuré.
Un élément secret les alimente en souffle
et ils portent les pierres à la bénédiction,
et tout ce qui grandit
n’a plus chez eux qu’une patrie.
     
Abrités sont les amants
et pour eux seuls les rossignols encore trillent
et se sont pas éteints dans une surdité,
et les légendes feutrées de la forêt, les biches,
souffrent pour eux dans une douceur.
     
Abrités sont les amants
ils découvrent la douleur cachée du soleil du soir
qui saigne sur une branche de saule –
et dans les nuits s’entraînent souriants à mourir
une mort feutrée
avec toutes les sources qui coulent dans la nostalgie.
     
     
« Éclipse d'étoile (Sternverdunkelung) », Querido, 1949. Traduction inédite de l’allemand par Jean-René Lassalle (sur Poezibao, 2018).
     
- -
     
Mais entre terre et ciel
les mêmes psaumes toujours prient
tournent dans les carquois de poussière rayonnante...
Et les plongeurs avec leurs salutations divines
ne trouvent aucun royaume orphelin
dans les roses forêts des profondeurs...
     
     
« Brasiers d'énigmes (1963-1965) et autres poèmes ». Traduction de Lionel Richard, éd. Denoël, 1967.
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Droit au fond de l'extrême
sans jouer à cache-cache devant la douleur
Je ne peux que vous chercher
quand je prends le sable dans ma bouche
pour goûter alors la résurrection
car vous avez quitté mon deuil
Vous avez pris congé de mon amour
vous mes bien-aimés -

1963
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De Nelly Sachs à Paul Celan, Stockholm, 2 Juillet 1960 (lettre 46)
     
Celui-ci se dresse –
Silence silence silence –
plus rien le soleil n’inscrit
et une couronne de sommeil grandit
autour de lui
qui s’étendit vers les hauteurs
plus haut
jusqu’à la fin.
     
Sommeil grandit bien en sabliance
silence silence silence –
     
Lui ô Lui
garde son sable
inéveillé -
le cosmos prend son souffle
de lui
qui répand ses vrilles
divinement faucillées –
     
Humainement dessiné
le sable dort
legs de l’amour –
     
Silence silence silence –
quand celui-ci s’étend plus loin
     
le bourgeon s’anime dans le sel.
     
     
Pour Paul
de Nelly
     
- - -
     
Von Nelly Sachs an Paul Celan, Stockholm, 2.7.1960 (Brief 46)
     
Einer steht –
Schweigen Schweigen Schweigen –
nichts schreibt mehr die Sonne ein
und ein Kranz des Schlafes wächst
um ihn
der sich hoch gereckt
höher
bis ans Ende.
     
Schlaf wächst schon in Sandigkeit
Schweigen Schweigen Schweigen –
     
Er o Er
läßt seinen Sand
ungeweckt –
Weltall nimmt den Atem ab
ihm
der seine Gewinde
Gottgesichelt fallen läßt –
     
Menschgezeichnet
schläft der Sand
Hinterlassenschaft der Liebe –
     
Schweigen Schweigen Schweigen –
wenn der eine fort sich reckt
     
setzt die Knospe an im Salz.
     
     
Für Paul!
von Nelly
     
     
in Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993.
Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
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Nelly Sachs
Départ au désert
     
Simone Weil, in memoriam
     
Quitter soudain
la table du repas
et sans autre arme que son corps
s’en aller là-bas où les hyènes rient.
     
Rendre visite aux pierres
qui se levèrent elles aussi un jour
pour revêtir la raideur de millions d’années.
     
Tendre l’oreille pour épier
la faible plainte enfantine
au sein des sources cachées
qui veulent jaillir au monde
pour désaltérer les langues d’étoiles assoiffées —
     
le zodiaque des langues
qui lapent la lune opaline
et perdent tout leur sang
dans le frémissement rubis du soleil.
     
Se lever soudain de table
s’enfoncer dans la racine de minuit
laisser un éclair fulgurant
déchirer notre poussière.
Voir devant soi dans les sables du désert
     
le mirage vert des flammes végétales
la blancheur insoutenable des secrets dévoilés
la prière qui se déverse par les jointures de la mort
     
et les neiges éternelles de la rédemption —
     
     
Traduit de l’allemand par Barbara Agnese
     
Ce poème de Nelly Sachs, resté inédit jusqu’en 2005 (1), a probablement été composé en 1952-1953, période pendant laquelle furent écrits quelques-uns des cycles du volume. Et ‘personne n’en sait davantage’. Deux livres de Simone Weil, ‘La Pesanteur et la Grâce’ et ‘Attente de Dieu’, dans leurs éditions allemandes parues respectivement en 1952 et 1953, se trouvent dans la bibliothèque de Nelly Sachs. En juin 1952, celle-ci écrivait à Walter Berendsohn : « Simone Weil est une figure d'une telle grandeur qu’on la lit jusqu’aux larmes et à la syncope. Aucun espoir, aucune illusion, aucun rêve pour atténuer la souffrance, car avec cela on ne fait que boucher les fissures par lesquelles la grâce veut entrer. […] L’incarnation du Christ est ce qui est essentiel pour elle, pas les miracles. La sueur de mort et ce ‘‘Pourquoi m’as-tu abandonné ?’’. Ce symbole est très important aussi, je pense, pour tous les camps de concentration, et c’est dans cette distance, dans cet absence de l’Eternel que se trouve pour Simone Weil la présence. Elle emploie le même mot que le Zohar, le vide. Aimer le vide. Ne créer aucune représentation personnifiée de la consolation. » Nelly Sachs, Gedichte 1951-1970, éd. par A. Huml et M. Weichelt, in Werke, vol. 2, Suhrkamp, 2010, p . 237-238, 398.
     
(1) Erika Schweizer le publia dans son étude Geistliche Geschwisterschaft. Nelly Sachs und Simone Weil — Ein theologischer Diskurs, Mayence, Grünewald, 2005.
     
Poème et Note extraits de la revue Europe n° 1036-1037, août-septembre 2015 : "Henri Heine / Nelly Sachs".
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Solitude silencieux champ de velours
tissé de violettes orphelines
abandonné du rouge et du bleu
violet couleur qui pâlit
tes pleurs l’ont formée
du tendre effroi de tes yeux –
     
- - -
     
Déjà grandissait dans ton au-delà
la figure de ton être
qui depuis longtemps désirait quitter les lointains
là où sourires et pleurs
deviennent pierres trouvées dans l’invisible
images de la vue offertes plus haut –
     
Mais toi tu enfonçais les touches
dans leurs tombeaux de musique
et danse l’étoile filante perdue
inventait l’aile d’un piano pour ta souffrance
     
les deux lignes du début et de la fin
se rapprochaient en chantant dans l’espace –
     
     
Énigmes en Feu
     
I, p. 261 & II, p. 303.
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Cette télégraphie mesure par une mathématique à la satane
les endroits de mon corps
où la musique est à fleur de peau
Un ange bâti de souhaits d’amour
meurt et ressuscite dans les lettres où je voyage
     
*
     
Vous parlez avec moi dans la nuit
mais hors de combat comme tous les morts
vous avez légué l'ultime lettre de l'alphabet
et la musique des gorges
à la terre
qui chante l'adieu par toutes les gammes
Mais enfouie dans le sable mouvant
j'entends quelque chose de nouveau dans la grâce -
     
     
(« Partage-toi, nuit », traduction de l'allemand de Mireille Gansel, p. 75, 83).
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Nelly Sachs
Nous les rescapés
Dans les ossements desquels la mort tailla ses flûtes
Sur les tendons desquels la mort déjà frotta son archet -
La musique mutilée de nos corps poursuit
Sa complainte.
Nous les rescapés,
Devant nous dans l'air bleu
Continuent de prendre les cordes nouées pour nous -
Les horloges continuent de se remplir des gouttes de notre sang.
Nous les respacés,
Les vers de la peur continuent de se repaître de nous.
Notre astre est enterré dans la poussière.
Nous les rescapés,
Vous supplions :
Montrez-nous lentement votre soleil.
A votre pas conduisez-nous d'étoile en étoile.
Laissez-nous tout bas réapprendre la vie.
Sinon le chant d'un oiseau,
L'eau dans le seau à la fontaine,
Pourraient faire se rouvrir notre douleur mal scellée
Et nous emporter avec l'écume -
Nous vous supplions :
Ne nous montrez pas encore un chien qui mord -
Il se pourrait, il se pourrait
Que nous tombions en poussière -
Sous vos yeux tombions en poussière.
Qu'est-ce donc qui tient ensemble notre trame ?
Pauvres de souffle désormais,
Nous dont l'âme du fond de minuit s'enfuyait vers Lui
Bien avant qu'on ne sauve notre corps
Dans l'arche de l'instant.
Nous les rescapés,
Nous serrons votre main,
Nous reconnaissons votre oeil -
Mais seul l'adieu nous maintient encore ensemble,
L'adieu dans la poussière
Nous maintient ensemble avec vous.


[dans le Un n°233, mercredi 23 janvier 2019]
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Lettre 57
     
le 19 août 1960
     
Ma chère, ma bonne Nelly,
     
Reçois un merci, un merci de tout coeur pour ta lettre !
C’est toujours aussi difficile pour toi et pourtant, bien chère, tu trouves des paroles – non, des cadeaux-paroles – pour nous !
Nelly, chère ! Je vois, le filet est encore là, il ne se laisse pas éloigner en un tour de main...Et pourtant il est à éloigner, il peut et doit être éloigné pour tous ceux dont tu te sais proche, pour cette proximité, pour ta vivante proximité ! Tu as tes mains, tu as les mains de tes poèmes, as les mains de Gudrun – ajoute-leur les nôtres, je t’en prie ! Ajoute tout ce qui autrement est encore main et secourable et aimerait rester main et secourable à travers toi, à travers ton être-là, ton être-là et-chez-toi et-chez-toi-à-l’air-libre, prends cela, je t’en prie, laisse-le être là, par ce pouvoir-être-vers-toi-aujourd’hui-et-demain-et-longtemps !
Je pense à toi Nelly, toujours, nous pensons, toujours, à toi et à ce qui est vivant à travers toi ! Te rappelles-tu encore, lorsque nous parlions une deuxième fois de Dieu, dans notre maison qui est la tienne, celle qui t’attend, te rappelles-tu encore ce reflet d’or qui était sur le mur? C’est toi, c’est ta proximité qui rendent de telles choses visibles ; elles ont besoin de toi au nom également de ceux dont tu te sais et te sens si proche, elles ont besoin de ton être-ici-et-parmi-des-êtres-d’humanité ; elles auront besoin de toi encore longtemps, elles cherchent ton regard – : ce regard, envoie-le de nouveau dans ce qui est ouverture, donne-lui tes paroles vraies, tes paroles libératrices, confie-nous à ce regard, nous tes compagnons de vie, tes accompagnateurs de vie, donne-nous d’être, nous les êtres libres, les êtres les plus libres de tous, d’être-les-debout-avec-toi-dans-la-lumière !
Regarde, Nelly : le filet est enlevé ! Regarde, Nelly, elle est là la main de Gudrun, elle a aidé, elle aide ! Regarde, d’autres mains encore aident ! Regarde : la tienne aide aussi ! Regarde : il se fait clair, tu respires, tu respires librement. Tu nous restes, je sais, tu nous restes, nous le savons, tu es, avec tout ce qui t’es proche, et aussi tout ce qui de si loin t’est proche, là et ici et chez toi et chez nous !
     
Ton Paul reconnaissant, ton Paul
qui t’est reconnaissant du
plus profond du coeur !
     
     
Traduction de Mireille Gansel | pp. 56-57.
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Papillon

Quel bel au-delà
est peint dans ta poussière.
À travers le noyau de flammes de la terre,
à travers son écorce de pierre
tu fus offert,
tissage d’adieu à la mesure de l’éphémère.

Papillon,
bonne nuit de tous les êtres!
Les poids de la vie et de la mort
s’abîment avec tes ailes
sur la rose
qui se fane avec la lumière mûrie en ultime retour.

Quel bel au-delà
est peint dans ta poussière.
Quel signe royal
dans le secret des airs.
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Je t'ai revu,
la fumée t'a marqué de son signe,
tu ôtais
le manteau de chrysalide
fait d'agonie,
soleil couché,
sur le fil de ton amour
la nuit s'éclairait
s'élevait
vol déployė
d'une aile d'hirondelle .
J'ai saisi un fétu de vent ,
une étoile filante y était accrochée-
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Ce passage simple touche directement.

"A l'instant sort de la maison la vieille femme aveugle pour laquelle j'ai écrit hier une lettre à son fils en Egypte, elle m'apportait un vieux Talmud et je lis : Ne considère personne comme insignifiant et ne tiens rien pour impossible : chaque homme a son heure, chaque chose a son lieu. Qui pleure la nuit, les étoiles au ciel pleure avec lui.
Tous ces liens. La vieille femme me va droit au coeur avec le vieux livre.
Tous ces remarquables liens. Je crois à une circulation intérieure. Et quand les humains détruisent ce monde : c'est la circulation intérieure qui se poursuit."
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Nelly Sachs
Celui qui vient de la terre
  
  
  
  
Celui
qui vient de la terre
pour toucher lune
ou
autre minéral du ciel qui fleurit -
blessé par le cou de feu
du souvenir
il bondira très haut
grâce à la nostalgie, matière qui explose
car
hors de la terre nocturne peinte
ses prières sont des ailes qui s’élèvent
hors du néant de chaque jour
en quête des routes intérieures de l’œil.

Cratères et mers sèches
remplis de larmes
qui voyagent à travers des stations d’étoiles
en partant vers l’au-delà de la poussière.

Partout la terre
construit ses colonies de mélancolie
non pour se poser
sur les océans du sang malade
rien que pour se laisser bercer
par la musique de lumière qui vient du flux et du reflux
rien que pour se laisser bercer
par le signe de l’invulnérable
signe d’éternité :
            Vie – Mort –


In revue Polyphonies, N°13 (Eté-Automne 1991)

/ Traduit de l’allemand par Michèle Fink
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autour du 13 janvier 1958
Chère Nelly Sachs, honorée de coeur !
Tant d’espace dans les coeurs a été enfoui sous les décombres, oui, mais cet héritage de la solitude dont vous parlez : parce qu’il y a vos paroles, il est recueilli en tous lieux de ténèbres.

De fausses étoiles nous survolent -- certes, mais le grain de poussière que votre voix traverse de douleur, décrit l’infinie orbite.
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Nuit, toi, consolation de mes yeux, j'ai perdu mon bien-aimé!
Soleil, tu portes son sang sur ton visage du matin, ton visage du soir.
Mon Dieu, si quelque part sur cette terre un enfant naït maintenant,
Ne permets pas que son coeur se brise devant le soleil en sang.
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NOUS LES MÈRES
  
  
  
  
NOUS LES MÈRES,
venons chercher
des semences de nostalgie du fond de la nuit océane,
sommes celles qui viennent chercher
les trésors dissipés.

Nous les mères
errant rêveuses
avec les astres,
les marées d’hier et de demain
nous laissent
avec notre naissance
comme avec une île
seules.

Nous les mères
qui disons à la mort :
Éclos dans notre sang.
Nous qui apportons du sable aux berges d’amour
et aux étoiles un monde de reflets –

Nous les mères,
qui dans les berceaux
berçons les souvenirs crépusculaires
du jour de la création –
la respiration
est la mélodie de notre chant d’amour.

Nous les mères
berçons au cœur du monde
la mélodie de la paix.


/traduction de l’allemand par Mireille Gansel
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Nelly Sachs
Vivre sous la menace
     
Une époque sous diktat. Qui dicte ? Tous ! À l’exception de ceux qui sont couchés sur le dos comme le scarabée dans l’attente de la mort. Une main m’enlève l’heure que je voulais passer avec toi. Elle me prend le sachet de graines d’où devaient jaillir des fleurs bleues, sans même une teinte de violet qui évoquerait déjà la déchéance. Sans le vouloir je respire un parfum dans le jardin, mais la rose est déjà destinée à d’autres. Je te prépare un repas fait de miettes, car tu es malade et je t’aime tant. Pour te sauver je voudrais te transformer en pinson, perché devant la fenêtre sur la feuille que le printemps lui a offerte. Mais le printemps nous a tourné le dos. La pourriture est terreau de ces fleurs. Nuages là-haut. À qui mourra le mieux. Migration splendide. Pouvoir s’éjecter de cette sphère terrestre, arracher ces pieds-racines. Grâce, grâce qui nous relève de l’obligation d’être. Souhait le plus haut sur terre : mourir sans être assassiné. [...]
     
De nombreux miracles ont lieu. J’en ai lu le récit. Mais comment les miracles parviendraient-ils aux malheureux qui tremblent là dans les barbelés. Les miracles eux aussi ont peur, sans doute. Ils vont là où règne le chef de guerre, qui les rompt comme une tranche de pain blanc découpée dans la lune.
     
Et cela arrive — Dieu recouvre-moi de nuit et fais silence —
     
[…] Ici il n’y a plus rien à saisir, rien ici ! Mais une explosion chauffée à blanc — cendre dans la bouche — les yeux aveuglés de leur présence ici — et l’univers de l’invisibilité — seulement avec les astres de l’âme — ces lettres écrites vers l’obscur — adressées bien au-delà de la borne où la mort même est morte.
     
Tout ce qui fut jusque-là vécu — Ici.
Tout ce qui fut jusque-là aimé — Ici.
Feu en gerbes de fleur […]
     
     
Note : « Vivre sous la menace » est un des rares textes en prose publiés par Nelly Sachs de son vivant. Il parut d’abord en traduction suédoise en 1955, puis en allemand en 1956 à Darmstadt dans la revue Ariel. Le texte est ici traduit d’après Nelly Sachs, Werke, éd. Par Aris Fioretos, Suhrkamp 2010, vol 4, p. 12-15 & par Lucie Taïeb pour la Revue Europe n° 1036-1037, août-septembre 2015 : "Henri Heine / Nelly Sachs" (p. 194-196).
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Ô VOUS MES MORTS
Vos rêves sont devenus orphelins
La nuit a recouvert les images
Envolée en chiffres, votre langue chante

La cohorte d'exode des pensées
votre legs migrant
mendie à mon rivage

Je suis inquiète
très effrayée
de saisir ce trésor avec ma vie si petite

Moi-même dépositaire d'instants
de battements de cœur, d'adieux
de blessures de mort,
où est mon héritage

Le sel est mon héritage


(extrait de "Elle cherche son bien-aimé et ne le trouve pas", 1966) - p. 221
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