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Citations de Nicolae Labiș (23)


Nicolae Labiș
Cirque

Des mendiants en habits de parade,
Bombant un torse étriqué, souffreteux.
Tant de regrets cachés sous la pommade
Et le comique devient douloureux.
Ivre en leur tréfonds culbute, grinçante
D'os meurtrie, vaine, la pensée.
En eux l'enfer a ouvert sa gueule béante.
Et le comique devient douloureux.

(traduction en français par Aurel George Boeșteanu)
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Nicolae Labiș
Premières amours
(fragment)

Oui, voilà qu'un arc-en-ciel aujourd'hui
Sur le monde de mon âme a surgi.
Tous mes cerfs accourent, infatigables,
Braquant sur lui leurs regards fascinés,
Forêt de cornes brunes, innombrables,
Où les étoiles brillent par milliers.
Du fond de l'horizon d'argent affluent
Mes grands oiseaux en fête figurant
Sur les cieux, jusqu'à perte de vue,
De leurs ailes, un mouvant océan.
Tout le monde de mon âme en liesse
Palpite d'une frénétique ivresse.

Eh, oui, j'aime ! Un arc-en-ciel aujourd'hui
Sur le monde mon âme a surgi.
Les sources s’éclairent, sonnent en fête
Elles rythment leurs miroirs en dansant
Et mes sapins bruissent sans tempête
Dans un grisant, sonore bercement,
Aux vignes, les grappes épanouies
Vibrent–cristaux de mes lourdes chansons–
D’éclatantes gouttes de mélodies
Naissent comme rosée en mes buissons.
En ce chant béni je vais m'écoulant
Plus ne suis moi, tout ce que suis est chant.

(traduction en français par Aurel George Boeșteanu)
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L’oiseau au bec de rubis

L’oiseau au bec de rubis
S’est vengé, oui, s’est vengé.
Je ne puis plus le caresser.
Il m’a écrasé
L’oiseau au bec de rubis,

Et demain
Les poussins de l’oiseau au bec de rubis,
Picorant par les chemins,
Trouveront peut-être bien
Les traces du poète Nicolae Labiș
Qui restera un souvenir serein.

(p. 149)
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Nicolae Labiș
Je suis l'esprit des profondeurs

Je suis l'esprit des profondeurs,
Je vis dans un autre monde que vous,
Dans le monde des alcools forts,
Là où seules les feuilles
De l'illusoire impuissance sont fanées.
De temps à autre
Je monte jusqu'à en votre monde
Par des nuits terriblement calmes et sereines,
Et j'allume alors de grands feux,
Et j'enfante des trésors,
Fascinant ceux d'entre vous qui me comprennent.
Après quoi je redescends par d'exténuantes grottes
Jusqu'en l'eau claire, merveilleuse.
Je suis l'esprit des profondeurs,
Je vis dans un autre monde que vous.

(traduction en français par Aurel George Boeșteanu)
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Cirque

Des mendiants en habit de parade,
Bombant un torse étriqué, souffreteux,
Tant de regrets cachés sous la pommade
Et le comique devient douloureux.

Ivre en leur tréfonds culbute, grinçante
D’os meurtris, vaine, la pensée. En eux
L’enfer a ouvert sa gueule béante.
Et le comique devient douloureux.

(p. 83)
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L’agnelle

Par un col fleuri, menu paradis,
La flûte en hêtre pleure, déchirée.
Il serre mon cœur, en mon sang frémit
Ce chant douloureux et tant moult aimé.

Étoiles flambeaux et nuées d’oiseaux
Sur la flûte en os filent leur chagrin…
S’écoule sacré sur le chalumeau
Ce chant combien triste et tant moult serein.

Les murmures doux en l’aulnaie s’égrènent,
Le fifre en sureau frissonne aux abords.
Petite mémère à ceinture en laine,
Que quiers-tu celui que frappa le sort ?

Ta ceinture, vois, tard s’est dégrafée,
Sous la lune inscrit tes pas par les sentes…
Que viens-tu encor aujourd’hui pleurer
À la bergerie quand les pipeaux chantent ?

Lui, aux yeux de mûre et fin comme anneau,
Lui, aux cheveux noirs qui au vent ondoient,
Onc ne pourra plus, gentil pastoureau
Onc réapparaître au-devant de toi…

À jamais tes yeux troubles le verront
Pâle, sur les trilles qui se lamentent,
À jamais tes pas après lui courront
Par les bois sans fin que les doïna hantent…

Tu es lasse… Arrête un instant là-haut.
Repose au fin fond, là-bas, tes yeux frêles…
Las ! Ce sont les nues, célestes troupeaux,
Entends cette voie : la tragique agnelle

Après qui cours-tu par les champs et chemins ?
Tes cheveux épars sont flamme argentée…
Ravie par les vents, s’est fondue au loin
L’agnelette, blanche ondulée, bouclée.

Par un col fleuri, menu paradis,
Je reste parfois muet, pétrifié,
Pour comprendre le parler incompris
Plein de l’affliction d’un siècle écoulé…

(pp. 33-35)
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Premières amours

(fragment)

Oui, voilà qu'un arc-en-ciel aujourd'hui
Sur le monde de mon âme a surgi.
Tous mes cerfs accourent, infatigables
Braquant sur lui leurs regards fascinés –
Forêt de cornes brunes innombrables
Où les étoiles brillent par milliers.
Du fond de l'horizon d'argent affluent
Mes grands oiseaux en fête figurant
Sur les cieux, jusqu'à perte de vue,
De leurs ailes, un mouvant océan ;
Tout le monde de mon âme en liesse
Palpite d'une frénétique ivresse.

Et oui, j'aime ! Un arc-en-ciel aujourd'hui
Sur le monde de mon âme a surgi.
Les sources s'éclairent, sonnent en fête,
Elles rythment leur miroirs en dansant,
Et mes sapins bruissent sans tempête
Dans un grisant, sonore bercement,
Aux vignes, les grappes épanouies
Vibrent – cristaux de bien lourdes chansons –
D'éclatantes gouttes de mélodies
Naissent comme rosée en mes buissons.
En ce chant béni je vais m'écoulant :
Plus ne suis moi, tout ce que je suis et chant.

(p. 17)
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François Villon

Nain au sourire tragique, en toi je découvre,
Quand la fatigue vient, l’aiguillon qui s’épanche
En la plume insurgée, au bec vif et mordant
Et la prompte rapière arborée à la hanche.

Sur tes lèvres le vin et les chants ont coulé
Comme un flot pétulant, alerte et épocal,
Plus que le madrigal qu’incrustait au diamant
Sur le hanap, lors des ripailles, le rival !

Sous la hart des maîtres, tu maîtrisais un monde,
Nageais par les mers des ballades fendant l’eau
Tes champs étaient semés de fleurs blanches et noires
Que Marthe envoûtait ou la lubrique Margot.

Les siècles ont coulé, mais tu brandis toujours
Ton ire impitoyable aux dangereux tranchants
Et lorsque les éclairs des estocs t’illuminent
On te voit t’esclaffer sous les neiges d’antan.

Permets que je déploie à tes pieds, en ce lieu
Ce poème balkanique, un humble tapis,
Éternel demeure chaque instant de ta vie
Par ton sourire tragique où vibre ton feu.

(p. 63)
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La poésie

(au lecteur)

Bien que d'implications faite et purs rameaux verts
Ou limpides cristaux qui scintillants se brisent,
Tremble en y entrant, comme en la forêt, l'hiver ;
Par des glaçons t'épient des yeux de loup qui luisent.

(p. 15)
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Nicolae Labiș
Épitaphe

Je n’ai pas eu envie d’abattre des soleils vivants
Ou d’arracher des étincelles aux planètes mortes
Mais j’ai tenté d’incendier la brume sombre
Le raisin de la rêverie chez les hommes de mon temps.

(Adaptation de Charles Dobzynski)
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LA MORT DE LA BICHE (MOARTEA CAPRIOAREI)

La disette a tué toute brise de vent.
Le soleil s’est fondu et coulé de partout.
Le ciel est resté vide et brûlant
Les seaux ne tirent des fontaines que de boue.
Sur les bois fréquemment feux, toujours feux
Dansent sauvages, sataniques jeux.

Je poursuis papa en route vers les buttes,
Les chardons, les sapins m’écorchent séchés.
Tous les deux commençons la poursuite des chèvres,
La chasse d’la famine en montagnes de tout près.
La soif m’accable. Bouillit sur la pierre
Le fil d’eau filtré des ruisseaux.
La tempe pèse l’épaule, comme si j’erre
Une autre planète, immense, étrange, ennuyeux.

Nous restons dans l’endroit où encore retentissent
Sur cordes de douces ondes, les ruisseaux.
Quand la lune s’élève et le soleil se couche
Ici viendront à la fil s’abreuver
Une par une, les biches.

Je dis à papa que j’ai soif. Il me fait signe de m’ taire.
Enivrante eau. Comme tu t’agites limpide !
Je suis lié par soif de cette être qui meurt
À l’heure fixé par loi et habitude.

La vallée raisonne en bruissements flétris.
Quel affreux crépuscule flotte dans l’univers !
Le sang à l’horizon. Ma poitrine rouge comme si
J’ai essuyé mes mains sur mon poitrail.

Comme sur autel fougères brûlent en flammes violâtres
Et les étoiles frappées parmi celles-ci miroitent.
Hélas ! comme je voudrais que tu ne viennes, ne viens pas
Superbe offrande de mon noble bois !

Elle se monta sautant et s’arrêta
Scrutant les alentours avec de crainte
Ses minces narines faisaient frémir l’eau
Avec les cercles en cuivre errantes.

Dans ses yeux moites brillait un certain indécis
Je savais qu’elle aura mal, qu’elle va mourir.
Il me semblait revivre un récit
Avec la biche, jadis une très belle fille.

D’en haut, la pâle lumière, lunaire,
Bruinait sur sa fourrure douces fleurs d’cerisier.
Hélas ! comme je voudrais que pour la première fois
Le coup d’fusil d’papa va échouer.

Mais les vallées résonnent. Elle tombe à genoux.
Elle lève sa tête, la tourne vers les étoiles
La dévala alors, en déclenchant sur eaux
Fuyards tourbillons de perles noires.
Un oiseau bleu bonda dans les rameaux
La vie d’la biche vers l’espace attardé
Vola très lentement, en cris, comme en automne oiseaux
Quand laissent tranquilles leurs nids tout ravagés.
En chancelant je suis allé pour lui fermer
Ses yeux ombreux comme en engoisse veillés de cornes
Silencieux et blanc j’ai tressailli quand l’père
Me dit de tout son cœur: “Voilà de la viande !”

“J’ai soif”, je dis. Papa m’incite à m’abreuver.
Enivrante eau, enveloppé en brume !
Je suis lié par soif de cette biche gaspillée
A l’heure fixée par loi et par coutume…

Mais la loi nous est déserte, étrangère
Quand la vie en nous très difficile s’anime
Coutumes, compassions sont toutes désertes
Quand même ma sœur malade est une des victimes.

La carabine d’ papa n’ émane que de fumée
Hélas ! Sans vent s’empressent les feuillages en foule
Papa prépare un feu tout effrayé
Hélas ! comme la forêt se dénature !
De l’herbe, sans adresse, je prends en mains
Une mince clochette d’un cliquetis argentin .
Papa tire de la broche avec sa main
Le cœur de la chevreuil et ses chauds reins.
C’est quoi le cœur ?… J’ai faim. Je veux vivre, j’ voudrais…
Toi, pardonne-moi, vierge ! ma biche, ma bien-aimée…
J’ai sommeil… Comme il est haut le feu ! Et la forêt sauvage !
Je pleurs. Que pense papa ? Je mange. Je pleurs. Je mange…

1954
(cf. p. 15-18, traduction du roumain par Claudia PINTESCU)
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Nicolae Labiș
Danse
(1958)

L’automne m’inonde l’âme de fumée …
L’automne porte dans l’âme nuées de feuillasse.
Danse triste d’automne nous allons danser,
Tragique ivresse, bercement molasse …

Le violon noir saigne entre les miroirs.
Les pensées sont mortes. Les vouloirs sont sages.
Sans aucun murmure. Seulement recevoir
Les bras éthérés de cet instant volage.

Mes yeux ont des cernes. Tes yeux sont discrets.
Combien de détresse nos foulées exhortent !
Comme le vent arrache les feuilles aux forêts,
Comme un vent qui tourne et fait claquer la porte.

Dès demain matin nous serons lointains,
Dès demain matin tu regarderas muette
Par les décharnées brousses des jardins
Virevoltants faisceaux faits de brume blette.

Tu resteras paisible comme je l’étais moi-même
En pleurant ma flamme par l’automne défaite,
Tu écouteras la corne du vent qui mène
Les nuages en hâte vers des aubes en fête.

Puis je passerai sous les marronniers rouillés
Les lèvres de pierre, pâle, sur le sentier muet
Et s’étouffera le bruit de mes pas décidés
Dans le sable, lâche et crissant regret.
*
(traduit du roumain par Cindrel Lupe)

Dans

Toamna îmi îneacă sufletul în fum ...
Toamna-mi poartă în suflet roiuri de frunzare.
Dansul trist al toamnei îl dansăm acum,
Tragică beţie, moale legănare ...

Sângeră vioara neagră-ntre oglinzi.
Gândurile-s moarte. Vrerile-s supuse.
Fără nici o şoaptă. Numai să-mi întinzi
Braţele de aer ale clipei duse.

Ochii mei au cearcăn. Ochii tăi îs puri.
Câta deznădejde paşii noştri mână!
Ca un vânt ce smulge frunza din păduri,
Ca un vânt ce-nvârte uşa din ţâţână ...

Mâine dimineaţă o să fim străini,
Vei privi tăcută mâine dimineaţă
Cum prin descărnate tufe, în grădini,
Se rotesc fuioare veştede de ceaţă ...

Şi-ai să stai tăcută cum am stat şi eu,
Când mi-am plâns iubirea destrămată-n toamnă,
Şi-ai să-asculţi cum cornul vântului mereu
Nourii pe ceruri către zări îndeamnă.

Pe când eu voi trece sub castani roşcaţi,
Cu-mpietrite buze, palid, pe cărare,
Şi-or să mi se stingă paşii cadenţaţi -
În nisip, scrâşnită, laşă remuşcare ...
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Vois

Vois, c’est encore la rosée
Et l’automne commence à tisser
Ses feuilles jaunes dans les cœurs,
Aux arbres de soie pâles frayeurs.

Et voilà, fraîche est la nuit à cette heure
Et l’été est auprès, mais tombent les feuilles lasses,
Et vois, il fait froid, mais passe
L’ardent frisson qui nous fait peur.

(p. 65)
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Dor

Pentru ce-am plecat,
Unde mă îndrept ?
S-au întunecat
Sensurile-n piept,
Dar o flacără
Mă cheamă acolo
Sub straturi de nea
Și vreau să treacă
Liniștea mea.

Nostalgie

Pourquoi suis-je parti ?
Vers quelle destination ?
Elles se sont assombries
Thoraciques sensations
Mais c'est une flamme
Qui m'appelle là-bas
Sous des couches enneigées
Que vienne je réclame
Ma silencieuse paix.
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L'albatros tué
[...]
Il est là tout au bord de la vivante mer
Étrangement rigide en sa défunte audace.
Il semble contempler encor les flots amers
Son cou voluptueux recourbé avec grâce.

Ses ailes ouvertes sont souillées et salées,
L'ouragan meurtrier chante une ultime messe,
Autour scintillent des coquillages tués
Dont la pulpe est rongée par la chaleur, sans cesse.

Rejetés par les flots sur la rive âpre et dure
Ils sont morts sans combat, et brillent maintenant.
Son aile recouverte d'une fange obscure
Profane leur blancheur à l'éclat aveuglant.

(traduit par Aurel George Boeşteanu)


La marginea vieţii clocotitoare-a mării
Stă nefiresc de ţeapăn, trufaş, însă răpus.
Priveşte încă parcă talazurile zării
Cu gîtul galeş îndoit în sus.

Murdare şi sărate-s aripile-i deschise,
Furtuna ce-l izbise îi cîntă-un surd prohod,
Lucesc multicolore în juru-i scoici ucise
Al căror miez căldurile îl rod.

De valuri aruncate pe ţărmul sec şi tare
Muriră fără luptă sclipind acum bogat.
Le tulbură lumina lor albă, orbitoare,
Aripa lui cu mîl întunecat.
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Nicolae Labiș
Je suis l’esprit des abîmes

Je suis l’esprit des abîmes,
Je vis dans un autre monde que vous,
Le monde des alcools forts,
La où seulement les feuilles
De la trompeuse impuissance sont flétries.
De temps en temps
Je monte dans votre monde
Dans des nuits rudement tranquilles et sereines,
Et là j’allume des grands feux
Et j’enfante des trésors
En vous éblouissant ceux qui me comprenez.
Puis je redescends par des grottes harassantes
Dans l’eau lumineuse, merveilleuse.
Je suis l’esprit des abîmes,
Je vis dans un autre monde que vous.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Nicolae Labiș
L’albatros abattu

Quand des vergers vers la mer se retourna la brise,
Dans le velours de l’ombre le sable amortissant,
Une vague le déposa prenant soin de sa mise
En cimetière de coquillages brillants.

En marge de la bouillante réalité marine
Gît anormalement raide, hautain, pourtant vaincu.
Paraît qu’il scrute encore cette étendue saline
Le cou gracile vers le ciel tendu.

Si sales et si salées sont ses ailes dépliées,
L’orage qui le frappa lui chante une liturgie
Brillent de mille couleurs autour des coques tuées
Dont la chaleur l’essence leur liquéfie.

Jetées par les vagues sur la rive desséchée
Mourant sans résistance si richement elles brillent,
Leur blanche, éblouissante clarté sera troublée
Par son aile toute sale d’une boue noircie.

Dans l’air des berges, s’écrie dansant en des sauts brusques
En défiant l’abîme, un jeune goéland
Le guerrier des tempêtes chu entre les mollusques
Reflète de son œil terne un vol montant.

Quand s’affermit la brise son aile frémit encore
Et ressurgi l’instant d’un invisible signe,
Il semble voler encore une fois, et la dernière
Vers un cimetière plus sobre et plus digne.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Nicolae Labiș
Le Maître

[cette poésie prend son inspiration dans
une des plus connues légendes roumaines,
métaphore du sacrifice nécessaire pour
l’accomplissement d’une œuvre durable.
Le maître bâtisseur Manole, après avoir
construit une superbe église fut laissé avec
ses compagnons sur le toit par le prince
Neagoe Basarab, qui lui avait commandé
l’édifice, pour qu’il ne construise pas un
autre pareil. Les compagnons et le Maître
imaginèrent des ailes, comme Icare et Dédale.
Mais ils tombèrent, et à l’endroit ou périt
le Maître Manole jaillissait une fontaine …]

Maître valaque, ce jour nom de fontaine,
Issu d’une glaise que ta main pétrit
Dans l’élancée bâtisse à trois beffrois
Et combien ajourée en granit,
Par des chansons perdues dans le temps
Et la puissance d’un rêve vigoureux
Tu as sorti, de tes paumes calleuses
En bas de l’Argeș, ce lieu merveilleux.

Un homme barbu portait une fleur blanche
Et ses mains rêches, doux la caressaient …
Tombé dans l’herbe et vidé de force,
En son esprit un triste chant perçait.
Tu regardais. Et une envie troublante
Te prit pour lui offrir l’ autel sauveur,
Posé sur la sévère plaine, comme le lys
En ses calleuses paumes de laboureur.

Ton rêve était de voir sous les voûtes rondes
Dans la fumée vacillante des bougies
Sur le bois peint avec soleil et glaise
L’image des tâcherons de ce pays.
Hanté d’un seule pensée, tu te dépouilles
Comme des vivantes loques, de tes regrets,
Ton monastère écrase sous l’avancée
Ton cœur, et tout ce qui t’appartenait.

Mais tu le sens renaître avec tumulte
Dans le son du tocsin, en pressentant
Des ères futures, en toi un Prométhée
Roumain, un autre mythe portant
Lorsque, hissé sur la plus haute voûte,
Défiant le tyran, qui demandait
Si tu pourras refaire la merveille
Tu as crié, rebelle : – Sûr, je pourrai !

Eblouissant avec sa pierre de coiffe
Et tripotant son sabre dans le harnais
Le roi scrutait la coupe de pierre, fine
De son regard avide et mauvais.
Il estimait garder pour lui tout seul,
L’entier, crée au don de ta personne,
Pour que sa pierre de coiffe encore brille
Et le brasier sur ton offrande résonne.

Lorsque l’échafaudage s’écroulait
Si invincible sous les cieux étais
Tes ailes minces en lattes de bois
Pourraient dans les nuées te porter.
Mais l’amour de la terre, de ta contrée
Te retourna sur le grisâtre champ,
Et tu jaillisses à jamais, fontaine
De don et de chanson, toujours vivant.

Il s’effrita sous sa pierre funéraire
Celui qui ordonna un crime pareil,
La fontaine coule dans les sillons et jarres,
Sans repos,
Sans oubli,
Sans sommeil.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Nicolae Labiș
Arthur Rimbaud

Qu’elle parsème sur ses boulevards, notre métropole roumaine
Jaunes tilleuls, qu’elle montre aux nues son bizarre, hautain contour,
Dans le fracas des tramways et des pavés moites qu’elle t’advienne
Ma fraternelle louange, tortueux malin, Arthur !
De nos jours, d’un son fantasque sonnent les hymnes de ta famine,
Qu’ils sont irréels les poilus, les galonnés verts, « cui-cui »
Mais dans ta contrée, encore les fardeaux charnels elle traîne
La meute que t’avais maudite, étourdie par l’eau-de-vie.
Excédés par la piquette, insoumis ton nom l’écument
Et l’embaument des flasques poivrots dans le sous-sol monotone,
Mais de ton bouquin surgit en haussant féroce l’enclume
Les regardant des yeux terribles, l’austère « Forgeron ».
Mais ton peuple et le monde anéantissent le basse crime
De traîner ta renommée dans les vapeurs des vinasses,
Ni l’absinthe, ni la bohème, rien que la passion sublime,
Ton impatience tragique, désormais fait que tu renaisses.
Tu es descendu du socle de tes monuments funèbres,
Tu t’en vas sous la Grande Ourse, en sifflant une chanson gaie
Vers les cons ricane édentée l’ombre des arrachés membres
Un défi, depuis la dalle du soubassement déserté.
Les chemins de ma patrie se tiennent devant toi, rangées –
Ton souvenir les traverse en cadence, tumultueusement.
Quand nous marcherons ensemble, sortiront noirs de fumée
Tous les forgerons, des bises au bout de leurs masses agitant.
Regarde-moi le crépuscule avec son ardente flambée,
Semblant être une hécatombe des bataillons ennemis.
Dans les aubes des grandes flammes ensanglantées, recourbées
Mêmes que dans les jours de guerre et de tourments à Paris.
Vois mon cœur et ma contrée : dans le tumulte du renouveau
Par une fougue balkanique, inéquitablement houleux,
Il se peut que tu retrouves de ton rêve rouge un morceau
A travers ces vastes plaines, par des fourneaux et métaux.
Que je regarde ta joue pâle, sous des trombes de mèches rebelles,
Enfin de joie rayonnante, mon désir il faut le dire –
Car trop souvent, chevilles ceintes des attaches temporelles,
Tu as versé tout ton malchance dans les cascades de gai rire.
Qu’elle parsème sur ses boulevards, notre métropole roumaine
Jaunes tilleuls, qu’elle montre aux nues son bizarre, hautain contour,
Dans le fracas des tramways et des pavés moites qu’elle t’advienne
Ma fraternelle louange, tortueux malin, Arthur !
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Nicolae Labiș
François Villon

Nain au sourire tragique, en toi chaque fois je puise,
Quand la fatigue arrive, un cordial ravivant –
Dans le feu de ta plume au bec leste qui s’aiguise
Dans la cruelle révolte du sabre pendu au flanc.
Sur tes lèvres coulèrent le vin et chant en vagues
Rempli d’une impatience joyeuse et épocale,
Plus riche qu’un madrigal taillé par ton rival
D’un froid brillant, en noces, sur un verre bancal !
Sous les cordes des potences tu maîtrisais un monde,
Nageant tu traversais les océans poétiques –
Fleurs blanches et fleurs noires sur tes prairies abondent
Désenchantées par Marthe ou Margot la lubrique.
Même après tant de siècles, tu secoues ta colère,
Terrifiante, âpre, des longues pointes portant –
Et dans une féerie d’éclairs de dagues et sabres
Tu ris toujours sous les plis des ces neiges d’antan.
Accorde-moi, qu’à tes pieds je déroule avec zèle
Ce poème balkanique –pour toi tapis d’honneur –
De ta vie, chaque seconde en sera éternelle
Par ton sourire tragique, vibrant dans ta ferveur.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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