Gloria fit de plus grandes enjambées, quand l'homme au masque se mit brusquement à courir. Dans le quart de seconde suivant, la policière démarra à pleine vitesse. Jusqu'à présent, elle n'attendait qu'un geste pour se lancer à sa poursuite. Elle laissait maintenant parler son corps. Là où elle était la meilleure.
- Stop, Police ! Hurla Gloria sans ralentir. Elle savait ses injonctions inutiles, mais elle devait donner ses ordres. Pour le cas où, pour la bonne forme. L'homme masqué se jeta dans une rue perpendiculaire au cours Marigny, celle-là même dans laquelle habitait Pharaon. Gloria était en pleine possession de ses moyens, parfaitement consciente. Des années d'entrainement pour atteindre ce niveau, pour être prête pour ce type de moment. Les plus grands athlètes travaillent pour être au point le jour de la finale de la coupe du monde où des jeux olympiques. Gloria s'était affûtée pour répondre présente aujourd’hui.
Le Grand Maître s'avança dans la lumière.
Elle avait supplié, et insistait encore en pleurant. Elle ne dirait rien, personne ne saurait, elle avait donné tout ce qui était en sa possession. "J'ai une famille" se désespérait-elle, "Des gens que j'aime, je veux vivre pour eux". Mais il était trop tard.
Sans doute regrettait-elle amèrement d'avoir découvert presque par hasard ces terribles secrets.
- Coucou les fachos, dit Bouboule en levant les yeux vers eux pour la première fois. Tiens ma frite, petit.
Autour des deux camps la foule continuait d'avancer lentement sans leur prêter attention. Ne manquait qu'une boule de foin roulant entre les protagonistes, une musique d'Ennio Morricone et les gros plans sur les regards.
Pharaon pris la barquette d'une main tremblante et recula en continuant de regarder tous les participants au pugilat qui allait commencer. Une frite posée sur le rebord de la barquette tomba par terre. Ce fut le signal que les deux bandes rivales attendaient.
Dans un fracas apocalypse, les deux clans se ruèrent l'un vers l'autre. On aurait dit un combat de Lucha Libre avec Bouboule Nhovski dans le rôle de Teddy Riner. Sauf que Riner aurait détalé bien vite face à la force brute de Bouboule. Il utilisait un style de lutte peu conventionnel, composé majoritairement d'une généreuse distribution de baffes haute-fréquence, assurées tel un moulin hyperactif par ses grandes paluches à la vitesse où Audiard enchaînait les répliques. Il variait les mouvements en y associant de temps à autre de puissants coups de têtes et de vigoureuses projections des genoux, dans un ensemble harmonieux dont aucune des composantes n'aurait été homologuée par quelque fédération sportive que ce soit. Nonobstant l'aspect non académique de son style, qui faisait mesure d'exemple pour ses compères tentant avec plus ou moins de grâce de le singer, il fallait reconnaitre l'efficacité des prises puisqu'un observateur neutre aurait été bien forcé de constater que les vieux gagnaient.