Quand les ressources naturelles ont vraiment commencé à manquer, quand le climat s’est vraiment déréglé, il y a eu de plus en plus d’endroits où les gens n’ont plus pu travailler normalement. Dans les grandes villes, beaucoup de gens ont manqué de nourriture, de médicaments. Seuls les plus riches pouvaient se permettre de payer très cher le peu qui restait. Alors les gens se sont révoltés et ont achevé de bloquer l’économie… et le château de cartes s’est effondré.
Antoine et Manon s’étaient efforcés d’adapter leur production pour répondre aux besoins. Ils avaient aussi aidé chacun à organiser son petit lopin de terre, et produire une partie de sa nourriture était devenu pour chacun une question de survie, mais aussi une façon de conjurer l’angoisse du désœuvrement.
Ils ne purent s’empêcher de ressentir aussi de la colère devant l’inconscience que tous semblaient afficher, alors que les éléments de la catastrophe qui se mettait peu à peu en place étaient connus, discutés dans les media et largement utilisés comme arguments politiques. Malgré cela, tous continuaient à dilapider les richesses de la planète, autant qu’ils en avaient à leur disposition, sans penser aux conséquences pour les générations à venir.
Rétrospectivement, ils étaient étonnés de ne pas s’être posé cette question plus tôt. Mais à la réflexion, il y avait une explication toute simple : l’absence de perspective rendait le futur si angoissant que toutes leurs actions étaient tendues vers un seul but, celui de lui échapper.
La lourdeur du quotidien et l’absence de perspective autre qu’un lent étirement de leur triste situation avaient depuis très longtemps entièrement occupé leurs esprits, au détriment de toute forme de rêverie ou de fiction.
Tout naturellement, ils se retrouvèrent ensuite tous dans la salle d’eau pour pouvoir eux aussi prendre enfin la douche dont ils avaient tant besoin. C’était une façon de renouer avec de vieux rites de la vie d’avant l’effondrement, lorsque l’eau et l’énergie étaient trompeusement quasi gratuites et disponibles à volonté. Et aussi avec des moments d’intimité qui permettent d’oublier les soucis et les peurs du moment comme si le monde extérieur cessait provisoirement d’exister.
Au fil des années, ce sont successivement les chevaux, les moutons, les vaches, les cochons, puis les chèvres qui avaient été frappés par ce qu’il avait bien fallu reconnaître comme étant des épidémies, sans doute aggravées par des contacts avec la faune sauvage, elle aussi affamée par le manque de nourriture et attirée par les maigres ressources restant dans les fermes.