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Citation de Cannetille


Elle apprend lentement les us et coutumes de la Filature. Filer, c’est ce qu’elle doit faire, heure après heure, devant un rouet placé à côté de dizaines d’autres identiques, rendus polis et grinçants par les heures innombrables passées à enfoncer la pédale pour faire tourner leur roue. À 4 heures du matin, elles sont toutes réveillées et se traînent pour assister à la prière assurée par le pasteur croisé en arrivant, qui a le plus souvent une telle gueule de bois que ses mains tremblent au bord de la chaire. On leur donne ensuite en guise de petit déjeuner des croûtes de pain et de la petite bière dans leurs salles de travail, où elles dorment également la nuit dans des lits étroits alignés le long des murs. Le déjeuner est servi à midi, et le souper après la fin du travail, vers 9 heures du soir. Durs morceaux de viande salée, hareng gâté, complété par de l’avoine mouillée et des raves. Les repas sont servis par écuelles de quatre dans un service en bois usé. On n’en est pas rassasié. Elle comprend bientôt pourquoi. Un boudin est présent lors du déjeuner, auprès de qui on peut commander un supplément de nourriture, et qui tient les comptes dans un grand registre. Pour chaque fil terminé, les prisonnières reçoivent un chiche salaire, qu’on attend d’elles qu’elles dépensent pour acheter des denrées qui ne sont pas distribuées gratuitement : beurre, fromage, lait, viande n’ayant pas séjourné des mois dans la saumure. Toutes le font. Le choix est simple : ça ou mourir de faim à petit feu.
Le travail est mesuré en fils, chacun long de trois mille aunes. Il faut à Anna Stina toute sa première journée pour filer cent aunes. Elle a toujours eu plus de facilité à utiliser la main gauche que la droite, aussi peine-t-elle à apprendre les gestes pour manier le rouet. Le fil qui court entre ses doigts est soit trop gros soit trop fin, il n’arrête pas de se rompre. Elle doit le rafistoler, et vite, car un contremaître passe sans arrêt parmi les fileuses pour contrôler le travail. Au crépuscule, elle comprend qu’elle n’apprend pas assez vite. Si elle ne file pas plus et mieux, elle n’aura pas assez à manger et, sans nourriture, elle n’aura plus la force de filer. La faim ne lui est pas étrangère, elle sait qu’elle ralentit le corps et l’esprit.
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