Julius Pollok, un doux végétarien et savant naturaliste, se plut à imaginer ce qu’il adviendrait des mœurs humaines, quand, grâce à la chimie et à la réalisation des recherches actuelles, l’état de notre vie sociale sera transformé et que notre nourriture, dosée sous forme de poudres, de sirops, d’opiats, de biscuits, tiendra en un petit volume. Alors plus de boulangers, de bouchers, de marchands de vin, plus de restaurants, plus d’épiciers, quelques droguistes, et chacun libre, heureux, susceptible de subvenir à ses besoins pour quelques sous ; la faim biffée du registre de nos misères, la nature rendue à elle-même, toute la surface de notre planète verdoyante ainsi qu’un immense jardin rempli d’ombrages, de fleurs et de gazons, au milieu duquel les océans seront comparables à de vastes pièces d’eau d’agrément que d’énormes steamers hérissés de roues et d’hélices parcourront à des vitesses de cinquante et soixante nœuds, sans crainte de tangage ou de roulis.
Le cher rêveur, poète en sa manière, nous annonçait ce retour à l’âge d’or et aux mœurs primitives, cette universelle résurrection de l’antique vallée de Tempé pour la fin du XXe siècle ou le début du XXIe. Selon lui, les idées chères à lady Tennyson triompheraient à brève échéance, le monde cesserait d’être un immonde abattoir de bêtes paisibles, un affreux charnier dressé pour notre gloutonnerie et deviendrait un jardin délicieux consacré à l’hygiène et aux plaisirs des yeux. La vie serait respectée dans les êtres et dans les plantes, et dans ce nouveau paradis retrouvé ainsi qu’en un Musée des Créations de Dieu, on pourrait inscrire partout cet avis au promeneur : Prière de ne pas toucher.