Olivier Douville

S’il est, par exemple, une écriture mélancolique, elle serait une écriture du monde qui, à défaut de l’enchanter ou de le parer des mille chamarrures que colportent les nostalgies convenues, lui redonnerait souffle et consistance, c’est-à-dire présence.

Doit-on à chaque fois que l'on se confronte à l'exclusion se poser comme un pionnier ? Une telle position est à la fois vraie et fausse. Elle est surtout difficilement évitable. Position symptomatique, donc. Vraie parce celui ou celle qui est mis en exclusion, vit l’histoire figée que donne l'ordinaire de la précarité et de la privation. En face de lui, en face d’une exigence sans demande, le clinicien éprouve un sentiment inouï et passablement destructeur : se sentir placé comme devant la fin ou devant l'origine d'un monde mental, sans antécédents et à l'avenir plus qu'incertain. Sans précédent, sans précédence. Mais cette position est trompeuse, dans la mesure où nous, cliniciens, devant l'exclusion et ses incidences subjectives, face à cette catastrophe frôlée ou accomplie, nous ne pouvons pas rester dans le péril (parfois délicieux) de la fascination. Nous ne sommes pas totalement dépourvus de repères. Certes, notre rapport à la théorie et le lien que nous entretenons à nos modèles et notre savoir-faire se troublent, et c’est bien cela qui effectivement inquiète et relance la pensée et l’action vers une rationalité plus opérante. Mais c’est bien cela aussi qui ouvre à la possibilité de se munir d’un appareil à penser, la capacité où nous sommes de laisser nos théories s’affoler et se troubler, sans pour autant céder à la facilité romanesque et aliénante de l’athéorisme. La rigueur de notre démarche qualitative ne nous fait pas prendre la théorie en horreur, bien au contraire, fait-elle de l’effort de penser un rempart utile contre une double illusion, fusionnelle (je suis comme les sujets que j’écoute, accompagne ou soigne) et communicationnelle (je suis aussi marginal qu’eux et « sur la même longueur d’onde qu’eux » ). Aussi, ami lecteur, n’attends ni de moi ni de mes bons collaborateurs que nous apportions à ton narcissisme la douce et imparable consolation qu’apportent avec elles les collections d’anecdotes déchirantes. Notre projet est de te transporter là où nous nous sommes transportés et parfois heureusement contraints par la virulence de la clinique : une pensée de ce qui pourrait tenir encore des plus précaires et les plus nécessaires dispositifs instituants et humanisants dans les lieux d’agonie sociale.

Les actes mélancoliques qui, nous le savons, peuvent aller jusqu’à se conjoindre au vide, en sautant hors de ouvertures, des fenêtres, par exemple, et que nous nommons "suicide", par paresse de pensée, ne seraient-ils pas aussi une façon de trouer cet horizon compact bouché, cadavérisant ? N’allons pas trop vite, toutefois, les patients "cotardisés", doutant de cette énergie du corps qui permettrait encore de se propulser au-delà de la scène, rabattent sur le corps cette nécessité de créer du trou, de la coupure, du point de fuite.

On peut rencontrer dans la névrose ce qui s’appelle mélancolie, ce que l’on peut appeler mélancolie en le distinguant de la simple dépression, comme le souligne M.-C. Lambotte, par le fait que cet accablement est là de toujours, qu’il n’a aucun élément déclencheur apparent, aucune histoire, aucune signification, comme hors du temps.

(…) le dire du mélancolique est de l’ordre d’une malédiction consentie. Il consiste aussi à énoncer de quelque façon un "plutôt ne pas être", en se plaçant dans la conséquence d’une transgression irréparable, où le pire a été accompli, où il est irrémédiable. Le mélancolique est celui qui incarne par excellence une telle malédiction.