Les violences policières appartiennent sans conteste à l'histoire continuée de la plantation. Elles nécessitent la production de corps imaginaires afin que la violence puisse s'appliquer de façon légitime au-delà des limites sur posent les autres corps de la République, les corps supposés humains. Les agressions policières sont toujours à la fois des manières de briser la résistance de certains corps - par la force et l'humiliation - ET des spectacles d'éducation par la terreur dont nous devons apprendre à nous protéger.
C'était ce qu'on appelait le bon vieux temps, et la famille poussait à l'heure des divertissements la chansonnette française avec Michel Sardou, sans un instant penser qu'elle contenait de ce sérum toxique, qui faisait pénétrer dans le sang national la nostalgie des colonies. Ils allaient rire comme tant d'autres aux imitations de Michel Leeb à la télévision, même si le lendemain elles revenaient à l'école sur le ton humiliant d'un accent vaguement africain - Ah oui, oui, oui !
L'année 2005 est l'un de ces moments où quelque chose se passe, une secousse. Deux jeunes, Zyed Benna et Bouna Traoré, poursuivis par la police à Clichy-sous-Bois, vont mourir. À la suite de ce drame, les quartiers populaires français allaient connaître l'une des plus vastes révoltes de leur histoire. Pas la première. Ces morts ne sont pas seuls, ils appartiennent à une longue série d'autres morts, les mêmes morts. Les parcelles s'assemblent, deviennent cyclone. Accumulation. Explosion.
L'esclavage n'est pas une faute morale et l'inscription « Négrophobie d'État » en juin 2020 par le militant Franco Lollia sur le socle de la statue de Colbert, lacée devant l'Assemblée nationale, n'est pas non plus une erreur.
Des statues sont tombées. Après l'assassinat filmé en direct de l'Africain-Américain George Floyd par le policier blanc Derek Chauvin à Minneapolis le 25 mai 2020, des statues sont tombées. Dans le souffle de cette scène d'horreur devenue virale, de la pierre et du bronze touchent brutalement le sol. Alors que la boucle morbide de Floyd sature le visible et qu'on ne sait plus où regarder, quoi regarder, quelque chose chute. Et peut-être ouvre secrètement un point de fuite pour le regard.
ARCHIVE FOSSILE. Dressez donc vos statues, posez vos
plaques, coulez des hommes à cheval avec du métal
d'Afrique, posez ici, et là, posez à Bruxelles et posez
à Anvers, distribuez des bustes du résistant Delgrès dans les
municipalités, en Guadeloupe, plantez des jardins au nom
de Solitude et plantez des statues d'esclaves rebelles, ici et là,
plantez à Paris, et n'oubliez pas de faire tomber sur la tête
un esclavagiste a Bristol, ça ne coûte rien et ça fait toujours
plaisir, de le noyer dans l'eau du port avec tous ses secrets.
Ironie et diversion. Et ensuite quand le calme est revenu,
plantez à la place une femme noire qui lève le poing,
même un instant, comme pour faire semblant.
Une femme noire fera le job, avec le poing levé,
c'est mieux, c'est cool.
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Avec [Big Boss], j'ai compris que Bruce Lee n'était pas un héros comme les autres. C'était le héros de tous les indigènes. Il était africain, arabe, antillais. On s'en foutait de la géographie. C'était notre gars sûr avec la pointe d'arrogance qu'on rêvait tous d'avoir. (21)