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Citation de sonatem


II La lune dans le labyrinthe
AMOURS : TERUSA, I
     
Et comment et où,
gît-il
cet amour ancien ?
Est-il maintenant
tombe d’oiseau ou goutte
de quartz noir,
morceau
de bois grignoté par la pluie ?
     
Et de ce corps qui prenait l’éclat de la lune
dans le printemps obscur
du Sud,
que restera-t-il ?
Et de la main
qui tint
toute la transparence et toute la rumeur
du fleuve paisible,
et de ces yeux dans la forêt,
immenses, pétrifiés
comme les minerais de l’ombre,
et des pieds
de la fille de mes rêves,
pieds d’épi, de blé, de cerise,
pieds qui volaient, prestes, aériens,
entre mon enfance pâle et le monde ?
     
Où est-il, l’amour mort ?
L’amour, l’amour,
où s’en va-t-il mourir, l’amour ?
Est-ce dans les greniers
lointains,
au pied des rosiers qui moururent
sous les sept pieds
de la cendre de ces maisons de pauvreté
qu’un incendie du village emporta ?
     
Oh ! amour,
de la première clarté de l’aube
du midi acharné
avec ses lances,
amour avec le ciel entier
goutte à goutte
au moment où la nuit parcourt
le monde
sur son navire plénitude,
oh ! amour
de solitude
adolescente,
oh ! violette
immense, répandue
avec son parfum, sa rosée,
sa fraîcheur étoilée,
sur le visage :
ces baisers
qui
grimpaient
au long de la peau et mordaient en nouant leurs branches,
depuis les corps purs étendus
jusqu’à la pierre bleue du navire nocturne.
     
Terusa aux grands yeux,
sous la lune
ou le soleil d’hiver, lorsque
les provinces
reçoivent la douleur, la perfidie
de l’oubli incommensurable
et que tu brilles, Terusa,
tel le cristal brûlé
de la topaze,
la brûlure
de l’œillet,
le métal qui éclate dans l’éclair
et qui transmigre sur les lèvres de la nuit.
     
Terusa ouverte dans les coquelicots,
étincelle
noire
de la première douleur,
étoile parmi les poissons,
dans la clarté
du courant génital limpide,
oiseau violet de ce premier abîme,
sans alcôve, au royaume
du cœur visible
au miel qu’inaugurent les amandiers,
le pollen incendiaire
du genêt sauvage
et la mélisse aux vertes tentatives
et la patrie des mousses mystérieuses.
     
Sonnaient les cloches de Cautín,
tous les pétales réclamaient,
la terre à rien ne renonçait,
les yeux de l’eau papillotaient
sans se lasser :
elle voulait ouvrir l’été
et pouvoir enfin le blesser,
le fleuve qui venait des Andes s’abatta
avec furie,
il se faisait étoile dure qui clouait
la forêt,
la rive,
les rochers :
nul n’habite en ces lieux :
rien que l’eau et la terre
et les trains qui hurlaient,
trains de l’hiver
à leur besogne, traversant
la carte
solitaire :
mon royaume,
royaume des racines
avec ses reflets de menthe,
sa chevelure de fougères
et son pubis mouillé,
royaume de mon embryon perdu
lorsque je vis naître la terre,
lorsque j’étais une parcelle
de l’humide
intégrité
terrestre :
lampe parmi les germes et l’eau,
dans la naissance du blé,
patrie des bois
qui mouraient
en hurlant dans le hurlement
des scieries :
la fumée, âme et baume
du sauvage
crépuscule,
ligotée
comme une dangereuse prisonnière
aux contrées de la forêt,
à Loncoche,
à Quitratué,
aux embarcadères des Maullín,
et moi qui naissais
avec ton amour
Terusa,
avec ton amour effeuillé
sur ma peau assoiffée
comme
si les cascades
de la fleur d’oranger, de l’ambre, du froment,
avaient transgressé ma substance
et que depuis cette heure-là je te portais,
Terusa,
jamais éteinte
même dans l’oubli,
à travers
les âges rouillés,
précieux
parfum,
chèvrefeuille profond ou chant
ou rêve
ou lune que pétrirent les jasmins
ou petit jour du trèfle auprès de l’eau
ou ampleur de la terre avec ses fleuves
ou folie de fleurs ou tristesse
ou signe de l’aimant ou volonté
de la mer qui rayonne en sa danse infinie.
     
     
Mémorial de l'Île-Noire (1964) – pp. 59-63
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