Le Retable d'Issenheim avait été commandé par le prieur des Antonins, Guy Guers, pour le présenter dans leur église devant les malades atteints du "mal des ardents", dit encore feu de saint Antoine, provoqué par l'ingestion d'ergot de seigle, un champignon hallucinogène, se trouvant dans un pain de mauvaise qualité. Ce mal des ardents aboutit à un rétrécissement des vaisseaux sanguins provoquant la gangrène et des convulsions. La présentation devant le retable devait provoquer une sorte d'électrochoc et rappeler aux malades qu'ils n'étaient pas seuls à souffrir, que la souffrance du Christ les accompagnait. Ce polyptique avait donc une vertu curative. Par ailleurs, les Antonins distribuaient du pain frais et faisaient boire du 'saint vinage' à base de vin et de plantes dans lequel on avait préalablement trempé les reliques.
Je suis resté à Colmar une journée entière devant le retable, je ne savais plus quand j'étais arrivé et je ne savais plus quand je repartirais. Lorsque le musée ferma, je souhaitais devenir invisible pour pouvoir y rester toute la nuit. Je regardais le corps du Christ sans trop souffrir, l'état de ce corps m'apparaissait vrai et, devant cette vérité, je prenais conscience de ce qui m'avait gêné dans les crucifixions: leur beauté, la sublimation qui s'y manifeste. La sublimation est le fait des concerts d'anges et non de la crucifixion.
Ce dont on se serait détourné avec horreur dans la réalité, on pouvait encore le saisir dans ce tableau: un souvenir des choses horribles que les hommes s'infligent les uns les autres. En ce printemps 1927, la guerre, les gaz asphyxiants étaient encore assez proches pour rendre ce tableau crédible.
Les commentaires et les explications devraient assouvir la curiosité du visiteur, du lecteur, mais surtout, qu'il ne s'inquiète pas, au-delà de sa beauté, l'œuvre continuera à garder une part de son mystère.
Chers lecteurs, sachez qu'aucun artiste n'a poussé, comme Grünewald, l'expressionisme à ce degré de souffrance et de violence.