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Citation de colimasson


Rien de ce qui est angoissant ne l’effrayait, mais, du plus loin qu’elle se souvenait, elle faisait un rêve récurrent qui avait fini par la dissuader de s’endormir, tant il lui était pénible : des toiles d’araignées au-dessus et au-dessous d’elle l’enserraient de toutes parts. Elles ne la touchaient pas, mais elles cherchaient à l’envelopper de leurs filets ondoyants, sans parvenir à l’effleurer. Dès qu’elles lui apparaissaient, elle commençait à agiter les mains devant son visage, à les passer sur son cou et, les genoux flageolants, ne parvenait plus à faire un pas. Peu à peu, ces liens astraux se transformèrent en entraves intérieures ; son cerveau lui semblait devenir cotonneux, son cœur lui paraissait suspendu au bout d’un fil et, lorsqu’elle voulait parler, sa voix ne s’échappait plus de ses lèvres qu’en un bruit faible et confus, tel un léger bourdonnement. Alors, tandis que la fillette se recroquevillait dans son sommeil, ses membres étaient secoués de spasmes nerveux ; on l’eût dit dominée par une force qui l’écrasait et aspirait toutes ses humeurs. Quand, finalement, après un combat acharné contre elle-même, elle parvenait à se réveiller, elle restait un long moment sans pouvoir ni pleurer ni articuler le moindre mot, comme plongée dans une bave glacée.

À la longue, ses terreurs nocturnes la rendirent encore plus étrangère à ses parents, d’autant qu’elle avait pris l’habitude de se reposer lorsqu’elle sentait les autres bien éveillés autour d’elle et prêts à la secourir. La nuit, elle plaçait une veilleuse au fond de sa malle et lisait jusqu’à l’aube sans oser lever les yeux de sa page, de peur de voir ces toiles d’araignées spectrales se refléter dans les airs, prêtes à s’insinuer sous ses paupières dès qu’elle les abaisserait. Aussi sa famille ne lui accordait-elle pas plus d’attention qu’à un meuble. Chaque matin, les femmes de chambre lui époussetaient la tête, lui balayaient les pieds, secouaient ses habits et les repliaient sur elle. À Pâques, elles la poussaient sur le balcon entre les chaises et les buffets de la cuisine, la lavaient avec de la soude, lui ciraient les cheveux, frottaient ses articulations avec du pétrole, inspectaient la peau de son visage et de ses mains pour s’assurer qu’elle ne soit pas rongée de vermine, lui ornaient la tête d’une guirlande de giroflées, le cou et les poignets d’un volant en papier vélin bleu ciel ou rose, puis elles l’installaient dans la salle à manger parmi les gâteaux de Pâques et les plateaux garnis d’œufs durs, afin que le prêtre la bénisse, pauvre créature.
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