Ce serait bien mal connaître l’éternel féminin que de prêter un visage unique à toutes les favorites des rois de France. Au contraire, les différentes facettes du caractère de la femme apparaissent chez ces « reines de cœur », avec un état d’esprit variable de l’une à l’autre : on trouve pêle-mêle des amoureuses, des ambitieuses froides, des complaisantes, des intrigantes, des têtes politiques, des femmes d’affaires, des artistes et des mécènes, des sensuelles et des frigides, des vertueuses et des garces, toutes cumulant plusieurs de ces traits. Deux choses unissent ces femmes si dissemblables : leur beauté – qui ne correspond pas toujours aux canons actuels – et leur intelligence ; les rois s’éprirent rarement de ravissantes idiotes, et c’est tout à leur honneur d’avoir orné leur cour de femmes instruites et spirituelles. La civilisation y a manifestement gagné quelque chose.
La favorite n’était jamais sûre de ses acquis : la mort du souverain l’évinçait pour toujours et, en cas de régence, elle pouvait craindre le courroux de la veuve légitime. Mais elle cessait parfois de plaire du jour au lendemain, en cours de règne, à cause d’intrigues de cour, de jalousies, de ragots ou de rumeurs malveillantes, de mots imprudents qui menaient aisément à la disgrâce ; vieillissante, elle devait se méfier des frais minois qui surgissaient à la cour, avec l’idée d’y faire carrière comme elle : le roi était d’abord un homme et en amour, un visage peut vite en chasser un autre.
Une favorite mariée trompait évidemment son époux. Complaisant ou irascible, celui-ci vivait sous une étiquette peu enviable : son infortune était sue de toute la cour avant qu’il ne l’apprît lui-même. Pour peu qu’un mari trompé montrât de la bonne volonté, les honneurs pleuvaient sur lui à titre de compensation mais les rois, qui n’aimaient pas les incapables, joignaient l’utile à l’agréable : ils rémunéraient aussi des mérites et des services réels. Le mari acceptait ces prébendes, songeant peut-être à la phrase de l’empereur Vespasien : « L’argent n’a pas d’odeur. »
La favorite reflétait l’image d’une vie intime heureuse à laquelle les rois aspiraient autant que leurs sujets : si, selon le mot de Louis XIII, le devoir d’État obligeait les monarques à n’éprouver point les « sentiments des simples particuliers », ils avaient, à l’instar de tout homme, besoin de la chaleur et de la douceur d’un foyer uni ; les mariages politiques leur imposaient des princesses envers qui ils ne ressentaient pas toujours d’affinité, les sevrant des joies d’un véritable amour.
Les jeux de l’amour et du hasard ne se satisfont toutefois pas d’une sèche énumération de dates, de faits et de noms : la nature même du sujet bannit toute austérité et autorise quelque licence. Nous n’avons pas renoncé aux analyses sérieuses, ni « romancé » ce qui n’a pas vocation à l’être, mais nous avons délibérément usé d’un style plus littéraire que « scientifique », recourant plus volontiers à l’anecdote. Ayant esquissé autant que possible le caractère
Les favorites n’ont pas toujours bonne presse et bien des images fausses circulent sur elles ; on leur prête la même ambition, le même égoïsme, le même regard intéressé sur les hommes – d’abord le roi – et sur les choses – les moyens de s’enrichir aux dépens des finances publiques – comme si elles avaient toutes revêtu le seul masque de la femme avide !
Une cour sans femmes est une cour sans cour.
Une cour sans femmes est une année sans printemps, un printemps sans roses.