[
Pascal Basset Chercot]
Entretien avec
Pascal BASSET CHERCOT à propos de son livre "Toine,
mémoires d'un enfant laid" (aux éditions Calmann Levy).Il parle de l'histoire de son livre, du personnage principal, un enfant rejeté, de son
enfance, de ce qui l'a inspiré et d'une
anecdote du livre.
Esct-ce que vous vous rendez compte que lorsque cela commencera, personne ne pourra plus rien faire? Personne !
Tu as des pouvoirs, mais ton chemin ne fait que commencer. Il est encore long. Souviens-toi pourtant : tu es Lorca, la fille qui chante, tu connais le val des Granits, et ton chemin passe par la rivière.
Tes yeux seront ta mémoire, Lorca. Regarde pour ne pas oublier.
Leur mort est inutile, mais leur souvenir a servir.
Regarde et n'oublie rien.
Didi revient, la démarche plus libre. Il pose gentiment sa main sur le gros bras de Vivien.
- Didi... voir... lions.
L'autre se dégage.
- On le saura. Explique-moi plutôt : tu ne peux pas dire je de temps en temps. C'est vrai, on croit qu'il parle de son frère.
Il se frotte le nez puis insiste:
- Tu m'entends? On croit que tu parles de ton frère. Tu n'as pas de frère, hein?
L'enfant fronce de nouveau les sourcils, cherchant sa réponse. Il a du mal. Ses yeux restent une seconde sous tension puis son regard se vide. Son visage prend l'expression d'un vieux Japonais épargné par la bombe. Avec un haussement d'épaules, Vivien passe à autre chose.
- Tiens, voilà l'irresponsable de l'entretien...
Un break Peugeot vient d'arriver sur le parking. Toutes les places sont libres mais le conducteur effectue un parcours compliqué pour se garer contre un plot en ciment. Un long coup d'accélérateur termine la manœuvre.
- 945 000 km au compteur. Pour dix briques, je ne monte pas dedans.
D'un œil dégoûté, il observe la voiture. Une portière finit par s'ouvrir et un homme court et trapu apparaît: Marcel Paulet. Le responsable de la propreté du zoo commence par cracher par terre puis oriente sa casquette et ses godillots dans notre direction.
Dans sa guérite, Françoise Gauton a décroché le téléphone. Ses gros bras transpirent à l'air libre et, plus bas, sa taille bute sur la cloison. Vu de l'extérieur, l'épouse du directeur est une truie aux hormones trop grasses pour sa cage. A trente ans, cette femme a la mèche triste et brune. Une raie médiane sépare ses pellicules et, détendus comme du papier tue-mouches, des restes d'anglaises pendent, coincés par ses oreilles. C'est dommage. Malgré une tache velue au bout du menton, son visage a l'ovale classique des beautés italiennes.
- Didi... voir... lions.
Lentement, à ma droite, le jeune garçon range son couvert. Il est brun, presque chauve, avec un front bas et une peau laiteuse. Sourcils froncés, il calcule ses gestes, il réfléchit. Au bout de quelques secondes, il place la cuillère dans la tasse et ajoute le couteau en équilibre. Il se lève et fait tomber le couteau sur la table. Cela le laisse perplexe. Son regard bridé va de la tasse au couteau, revient à la tasse. Il réfléchit encore. Puis il se décide à faire deux voyages.
Le chauffeur est mort. Normal. Avec deux balles dans le corps et une dans la tête, peu d'individus supportent longtemps le monde des vivants. Une passante de dix-huit ans, elle, n'aura jamais son permis de conduire. Celui d'inhumer le remplacera. Comme le précise le rapport, elle traversait à l'arrière du véhicule, en dehors du passage protégé. Balle perdue pour fille perdue. Le principal intéressé a eu plus de chance. Raté par les balles, il ne ratera que son avion.
Ecœurante, une odeur de pain brûlé et de lait cuit stagne dans la pièce. Les tables en formica et les chaises de bois jaune rappellent une cantine scolaire mais le bar en canis avec ses sodas en étagères et un tarif accroché aux cornes d'un zébu précisent la vocation du lieu. Pour les rêveurs, un panneau interdit le hors-sac et indique que la maison ne fait plus crédit. A notre table, le responsable du palais grogne en regardant dehors.
Il lui serra la main et le laissa s'éloigner. Il avait le sentiment que quelque chose venait de se terminer. Il réfléchit, se retourna vers l'eau noire du bassin. Et il comprit brusquement ce qu'il venait de se passer. Il ne croyait plus que la gendarmerie retrouve jamais Gabriel. Ni la gendarmerie ni la police. Pour eux, la procédure active était finie. L'adjudant Paulin était venu le lui dire. Avec doigté, gentillesse, précaution.