Pascal Breheret

Il pleut abondamment dehors et les grosses gouttes orageuses claquent violemment les vitres du TGV qui ramène le juge à Nantes après la grand-messe du ministère. La force des impacts et la vitesse du train transforment les gouttes en de multiples petits corpuscules nerveux dont le seul but est d'atteindre le bord de la fenêtre et disparaître. Le juge Legaillard regarde avec amusement ces formes éphémères qui ressemblent à s'y méprendre à des spermatozoïdes qui se courent après en se tortillant la queue. Eux, ils ne se posent pas de question, ils foncent ! Lui, il s'en pose beaucoup sans forcément foncer aussi vite qu'il le voudrait. Mais il s'en fout ! Le juge sourit ; il s'amuse facilement de tout et tout lui est prétexte à exciter sa débordante imagination. Il a une grande capacité à se détacher facilement des événements, sans doute pour mieux y revenir, pour mieux s'en imprégner ensuite. Sa mère n'a de cesse de lui dire qu'il est né sur une motte de beurre. Le juge adhère. La vie lui a toujours souri en effet. Jusqu'à présent. Il est jeune juge, mal payé, mais bien noté, jouissant d'une vie de célibataire épanoui, riche en aventures aussi diverses que variées, doté d'une dose d'humour bien au-dessus de la moyenne et d'une plume subtile. Et bon public. La seule ombre au tableau est son compte en banque : plat comme la Beauce qu'il traverse actuellement.