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Citation de enkidu_


Elle est étrange, à vrai dire, cette attirance pour la figure du rebelle qui hante plus spécialement artistes, journalistes, intellectuels, écrivains, politiques. Il faut y voir une des valeurs refuges du narcissisme contemporain à une époque où le consensus nivelle les individus et rend les camps tous semblables. Nostalgie d’un temps où l’homme de plume, le savant, l’artiste tiraient leur lustre d’entrer en conflit avec les pouvoirs établis. Alors le génie solitaire, affrontant la bêtise de ses contemporains, produisait des chefs-d’œuvre dans la réprobation générale, émettait des théories scientifiques scandaleuses sous le double auspice de la clandestinité et de la persécution. Créer, découvrir, c’était toujours attenter à l’ordre du monde, briser les dogmes en cours, ouvrir une brèche dans un univers confit de certitudes afin de « faire avancer le chariot récalcitrant du peuple », comme le disait Kandinsky des avant-gardes.

Le rebelle réconcilie deux images valorisantes : celle de l’homme ou de la femme d’exception qui s’élève au-dessus de la masse, celle de l’altruiste qui met ses talents au service des autres, se sacrifie pour leur bonheur. Il conjoint élitisme et sainteté, et convertit sa persévérance en oblation à l’humanité entière. Voilà pourquoi les vrais séditieux sont si rares : il faut, pour endurer la calomnie, la réprobation, le mépris, la prison, une trempe qui n’est pas donnée à tous. Il y faut une quasi-folie, la certitude orgueilleuse d’avoir raison contre le monde entier. Enfin, la modernité a érigé en règle d’or, surtout en France, la religion de la désobéissance puisque son événement fondateur, la Révolution de 1789, a instauré une coupure radicale entre l’ancien et le nouveau monde. Il est poli d’être contre. Du savant martyrisé ou brûlé qui récuse les vérités officielles jusqu’au dissident qui croupit dans les goulags, sans oublier le peintre affamé qui se fraie un chemin au milieu des sarcasmes et des lazzis, la subversion est devenue, en démocratie, une double garantie de nouveauté et d’authenticité. (pp. 49-50)
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