Citations de Patricia Suescum (12)
Inédit 1
Vivre plus cachée que son ombre, se retourne et personne ;
aucune trace en dehors ni au-dedans, aucune odeur à tenir
entre ses doigts, un parfum demandant à jaillir et qui trop
mûr prend gangrène. L’enveloppe se tord sur elle-même,
tourne sur l’ombre et griffe ; nulle lumière tendue autour
d’un corps sans miroir. Tout s’éteint et la mécanique de la
mâchoire, sous l’extinction du souffle en pleine carcasse, la
douleur n’est pas, le vent s’éjecte dans le cocon et brise
longtemps après, une nacelle vide.
Mémoire en désordre ; je garde de toi l’attente irrésolue, le manque, l’acceptation, les mots à double sens, le sens du ridicule, le deuil d’une conscience, éteinte, aveugle ; je garde de toi l’odeur du désir, grappe de soleil rangée dans un tiroir, étincelle éclatée sur un sol mouvant, le vertige des rêves gâchés.
Et je laisse entrer la brûlure, migraine des grands soirs, où ton nom frappe le nerf optique et glace le front moite de ma fièvre.
L’aube comme une gueule de bois, un couteau sorti de mon crâne, que le jour cicatrise en surface ; main ouverte, étoile sur la crevasse.
L’écho d’un souffle suffit ; la réalité se crispe, convulse et donne du monde une image atrophiée, réduite au contour d’un regret fantoche, à deux centimètres de douleur insoluble.
Des lendemains rongent la corde, échappent au nœud coulant, la vie est fin stratège…
Je garde de toi un voile de solitude planté dans l’œil.
Aux chants des pierres noires jonchant le sol comme
derniers cris lucides, de cette humanité écrasée sous
le poids instable des générations, de ces manifestations
d’effroi pétrifiés dans l’œil de celui qui voit… de celui qui
ressent et entend son cœur comme une décharge d’éclairs
instantanée…
Lève ton bras de poussière sous la couche glaciale d’un
corps tendu comme un cierge, dont la flamme ne réchau-
ffe qu’un désert de plus…
Entends la lumière d’outre tombe qui dort comme un soleil
écarté de la scène et brûle de sa puissance à ne jamais ren-
dre les armes, à ne jamais se défaire de la promesse de l’aube
...
Et puisqu’il n’y a ni gagnants…
Et puisqu’il n’y a ni gagnants, ni perdants, creuse sous le voile
d’apparence et gave-toi d’absolu…
Qu’elle soit longue l’agonie de vivre, qu’elle soit vengeance
sous le pli de l’oubli…
Gagne du terrain et grave ta propre tombe d’une lettre d’or…
Que la lumière se penche sur ton sommeil…
Et se reflète dans l’œil de celui qui a vu…
LA MER A PITIÉ DE MOI…
La mer a pitié de moi, de mon chant solitaire.
Elle connaît tout du naufrage et de ses voyageurs.
La mer délivre le souvenir et recrache sa voix aux
vivants.
Des mots sans importance. Le mal n’a pas
d’importance ici. C’est un langage obscur. Nos
mémoires perdent son origine pour ne pas
sombrer.
La mer est plus forte que moi. Son cri chasse
la tempête. Elle me dit de ne pas m’inquiéter de
l’écho.
« Tu es l’écho et je suis ton navire »
Je me suis couchée sous l’écume et j’ai bu.
Enfin je peux dormir. Plus de distance, plus
de chemin à parcourir. Demain, j’aurai regagné la
terre.
Sans toi je fais l’amour avec la mort,
Dans ces draps humides et froids.
Dans l’absence de tes bras,
Mon corps résigné ne bouge pas.
Ci-dessous, un entretien avec Patricia Suescum, par Etienne Ruhaud, sur le site "Lettres capitales".
https://lettrescapitales.com/interview-patricia-suescum-la-poesie-par-son-caractere-intime-devoile-et-revele-le-vrai-et-ne-peut-se-contenter-dillusion/
Guetter les vrais échanges…
Guetter les vrais échanges,
la fraternité de la réflexion,
l'équité du regard,
l'élévation jumelle
La dissociation,
les apparences multiples
n'engendrent pas plusieurs
vérités mais décalent l'angle
du discernement
Ta peau vaut-elle plus que la mienne,
existe-t-il une valeur contre la chute ?
Existe-t-il un rempart contre l'erreur ?
Et crois-tu vraiment
que je ne vais pas en rire ?
(L'attribut nuisible
à la clairvoyance).
VIENNENT CES MATINS…
Viennent ces matins
dans la lenteur
des lumières endormies
à l’ombre des montagnes,
dans l’opacité d’un diamant brut
que l’homme affairé de son sommeil
n’a pas encore taillé
Vient la page inexploitée,
le projet tenu en laisse
À l’heure où les fauves dorment,
que les murs tombent en miettes,
c’est la fraîcheur sur la plaie indolore,
c’est le rebond des écroulés
Viennent ces matins
de réconciliations
où le chemin soude la faille
La conscience du choix.
À ne voir l’Autre que sous le prisme du désir, un pan d’obscurité se détache de l’œil et couvre les trois quarts de l’Être.
La chair m’inflige ses assauts, dont je suis lasse ; la question reste en surface et dérive sans capter mon attention.
Et parce que je ne suis pas ce que l’on veut voir de moi, je détourne le regard et cherche en vain le terrain vierge de constructions massives, où la place offerte n’est pas celle d’une statue gigantesque créée par la main de l’homme.
Que l’on me donne autre chose qu’un chant de coq, aussi criard qu’un réveil matin, quand je n’aspire qu’au calme d’une conversation.
La femme déborde, l’être vivant s’ennuie.
Du bruit et des silences …
Du bruit et des silences
Des silences plus violents que le bruit
Cette voix que j’échoue à rendre tangible
par combustion préméditée,
par suicide interne
Je suis l’éclair nocturne
dont on oublie le jour
L’élément inconnu
et l’épave d’un rêve.
Et gueule comme la terre…
Et gueule comme la terre qui s’échine à survivre sous le pas
du guerrier, sous la cloison de l’ombre, sous la face d’un idéal
s’étiolant plus que tous les désirs réunis dans la paume d’un
enfant ; les enfants que nous sommes dans l’éternité d’un
chant oblique qui danse de la lune au croisement secret de
l’espérance jamais éteinte.
Danse sur la braise puisque le feu est terre natale et ne retiens
que le frisson du néant qui balaie ta joue aux quatre coins de
l’enfer que l’on nomme existence…