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Citation de Cielvariable


tu persistes dans ton silence, dans ton repli, ta cousine Juliette s’approche, maigre, son visage tout ridé malgré ses quarante-huit ans, sa chaise roulante poussée par son mari Normand, son regard plein de compassion, et ce qu’elle te dit

— Je sais que c’est difficile à accepter, mais rien n’arrive pour rien…

déclenche un furtif mais vif éclair dans tes pupilles, tu ouvres la bouche pour dire quelque chose mais une amie de Judith s’approche de toi et t’enlace, puis d’autres gens, encore et encore, tu finis par demander à Jean-Marc comment ça se fait que tant de monde soit au courant alors que tu n’as prévenu personne, mais Jean-Marc a pensé à tout, Jean-Marc a mis une annonce dans deux quotidiens, Jean-Marc a mis en branle deux ou trois chaînes téléphoniques, tu hoches la tête, regardes autour de toi, tous ces gens, tous ces visages, il y en a même qui sont flous, que tu ne reconnais pas, puis tu revois la cousine Juliette, là-bas, et tu te mets en marche vers elle, ton regard dur, mais elle s’adresse à toi avant que tu ne puisses parler, explique qu’elle veut aller fumer dehors mais Normand est aux toilettes, tu serais bien gentil de l’amener dehors si tu n’y vois pas d’inconvénient, tu l’aides à enfiler son manteau, tu enfiles le tien, tu pousses la chaise roulante, les gens s’écartent respectueusement, dehors il fait un doux froid, le soleil est éclatant, tu te diriges vers la rampe pour handicapés et commences à la descendre très lentement, déployant un certain effort pour retenir la chaise entraînée par la pente, puis tu baisses un peu la tête pour que ta cousine t’entende, tu lui dis que, si tu as bien compris, l’accident qui l’a rendue infirme à vingt-sept ans n’est pas arrivé pour rien, et elle le confirme, jure qu’elle en est sortie plus forte qu’avant, tu hoches la tête, la chaise est lourde à retenir dans la pente, et soudain tu ne la retiens plus, la chaise descend maintenant la rampe toute seule, elle prend de la vitesse, la cousine demande ce qui se passe, et toi tu n’interviens pas, la chaise roule vers la rue avec Juliette qui pousse des petits cris, Juliette qui essaie en vain d’arrêter les roues avec ses mains trop faibles, Juliette qui s’immobilise enfin en plein milieu de la chaussée au moment même où une voiture freine brusquement, et une seconde automobile emboutit la première, et toi tu t’approches enfin de Juliette, tu te penches derrière elle, et ta voix

— Et maintenant, tu te sens forte ?

est basse, si basse, et tu remarques alors que Juliette hoquette, Juliette a les yeux écarquillés, Juliette est presque en syncope, et tu regardes enfin autour de toi, la conductrice de la première voiture pétrifiée de stupeur derrière son volant, le conducteur de la seconde qui sort de son véhicule en tenant son nez ensanglanté, tes amis et ta famille qui sortent du salon, dont Normand qui se précipite vers sa femme, en panique, hurlant qu’il faut appeler une ambulance, que Juliette est en train de piquer une crise cardiaque, et tout le monde qui s’active, qui pose des questions, qui tourne en rond, et toi tu observes ce chaos avec fascination, immobile, rocher immuable au centre de cette mer déchaînée
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