Paul A. Garance

Plus que jamais, Samuel sentit la peur lui parcourir l'échine, comme si la faucille de la Mort lui caressait le dos de sa lame froide.

Plongé dans l'obscurité, il ne vit que mieux les lumières de la ville. En voyant cette multitude de fenêtres formant d’éphémères constellations, il se plaisait a imaginer ce qu'il se passait derrière.

Dans cet appartement, par exemple, la mère avait préparé un délicieux repas. Dans l'autre foyer en contrebas, le père prenait son mal en patience tout en racontant pour la centième fois la même histoire a ses enfants avant d'aller dormir.

Tout cela, Lucas n'y avait jamais eu droit. Son avenir semblait tout tracé a devoir trimer toute la vie parce qu'il était né dans le fond du caniveau. Les grandes aventures, les grands amours, les grandes fortunes... Tout ce qui était grand lui serait interdit non pas parce qu'il était né avec une cuillère en or dans la bouche, ni même en argent ou en cuivre, mais en bois pourri.

« L'ennemi peut frapper de partout ». Un des célèbres messages de propagande, diffusés a tout va depuis le début de la Grande Rage. Il y avait déjà vingt-cinq ans que tous les animaux, sauvages ou domestiques, attaquèrent les humains. Sans raison particulière. Et rien ne semblait annoncer la fin de cette guerre si ce n'est la victoire d'une espèce sur l'autre.

Avant de repartir à la maison, le Directeur de l'Eternelle Ecole des Elfes nous fait un long discours sur notre devoir de couvert l'oeuf d'amour, de nos rêves, de nos espoirs.... C'est important car l'animal qui sortira de l'oeuf sera notre ami pour la vie, et aucune force naturelle ou magique ne pourra nous séparer.

Il sortit du sac ce qui ressemblait à la carte d'une ile, complétée à la marge de ces phrases énigmatiques : « Au printemps les dauphins tu suivras. Au roi des singes tu tourneras le dos. Dans l’œil du serpent tu regarderas. Droit devant tu vogueras et la trouveras.»

Au centre du salon, éclairé par la lueur de la cheminée, se tenait sur le divan la sœur d'Alfred, Claire, qui contenait son angoisse afin de ne pas effrayer les enfants. Se mordillant nerveusement la lèvre, elle tenait en effet contre elle un nourrisson dormant paisiblement, tandis qu'a l'autre bout du canapé, recroquevillé, tremblait le grand frère, Adam. Ce dernière, âgé de trois ans, pressait contre lui son jouet préféré : une réplique toute neuve du ballon dirigeable Le Conquérant, vedette de l'Exposition Universelle de 1862.

L'amour entre un humain et un animal est précieux. Ne l'oubliez jamais.

Il ne lâchait pas des yeux sa ville en plein désert, et cette énorme usine en périphérie qui crachait de la fumée noire. Un autre nuage sombre s'élevait plus loin : celle de la forêt que les bûcherons incendiaient après avoir abattu les arbres qu'ils voulaient. Pour la première fois, il se posa une question que l'on évitait généralement de se poser en temps de guerre : sommes-nous vraiment du bon côté ?

Au printemps les dauphins tu suivras. Au roi des singes tu tourneras le dos. Dans l’œil du serpent tu regarderas. Droit devant tu vogueras et la trouveras.

Le corps est mortel, l'esprit demeure.

Pour ajouter à la morosité des villes, il était interdit de mettre une quelconque végétation aux balcons. Il n'y avait plus aucune plante, ni fleur, ni arbre dans Quintarlaz, pour ne pas attirer les animaux. Au lieu de cela, le béton régnait en maître, partout.