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Citations de Paul Carmignani (18)


Ce fragment d’innocence et d’allégresse au milieu du chaos fait partie, comme nous le rappelle Yves Pagès, de ces « excroissances utopiques qui ménagent dans le texte célinien de petites fictions parasitaires, où l’abolition de l’ordre révèle un hors-champ festif ou émeutier» et métamorphosent du même coup le désastre en féerie du désastre.

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Le rôle d’Orphée dans les premiers épisodes de l’épopée de Jason, d’après les livres I et II des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes

"Il chantait comment la terre, le ciel et la mer, autrefois confondus entre eux dans un ensemble unique, à la suite d’une funeste discorde, furent séparés et mis chacun en son lieu ; comment dans l’éther un emplacement fixé à jamais fut assigné aux astres et aux routes de la lune et du soleil ; comment les montagnes s’élevèrent et comment naquirent les fleuves sonores avec leurs Nymphes, ainsi que tous les animaux..."(I, v. 496 – 502) C’est donc un hymne à l’établissement du cosmos dans la nature, et ce chant ramène le calme, une forme de cosmos, parmi les ivrognes.
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Philippe Muray: « Céline ramasse dans une barque des morts toute l’espèce humaine »
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La bataille du Styx ou la fin du voyage célinien : notes sur les passages dans Rigodon

Si Céline réussit finalement sa percée, c’est grâce à cette proximité réintroduite par le biais de la praxis médicale avec les victimes de la misère, de l’abandon et de la déchéance : malades, infirmes, blessés, femmes, nourrissons, enfants débiles. Une symbiose idéale s’opère entre le narrateur et ses personnages : lui-même exclu parmi les exclus, assimilé à la souffrance, à la maladie et à la folie, il devient un être hors-norme, anormal, à l’image de cette enfance dégradée, monstrueuse, rampant dans les décombres du monde. Mais cette falsification du personnage-narrateur clandestin prépare en même temps un passage à un autre niveau, celui de l’énonciation elle-même, et un brouillage de l’identité du narrateur-auteur.
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La bataille du Styx ou la fin du voyage célinien : notes sur les passages dans Rigodon

"Ferdinand n’est pas de ceux qui trouvent leur bonheur à seulement vivre (...) La vie ne peut le satisfaire aussi longtemps qu’elle reste, précisément « sans histoires ». Il ne la possède que lorsqu’elle est en danger et au besoin il la risque. Son histoire (...) trouve son unité dans cette menace de tous les instants et son rythme dans ce retour périodique de l’apocalypse."
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Passeurs parias et passeurs émissaires : Burakumin et passeurs dans L’Opera des gueux de Kaikô Takeshi


Il convient préalablement de noter la parenté topologique de l’Empereur (Tennô) et des burakumin dans la société nipponne. L’un comme les autres se positionnant en marge de la société, représentant ses limites non-incluses, et partageant une fonction de bouc émissaire, prenant en charge l’unité du groupe par le sacrifice de soi. Pôles extérieurs, étrangers à la communauté, tout en la fondant, voire la justifiant, par leur exclusion même, l’Empereur et les burakumin participent d’un phénomène identique, par excès de pureté, d’une part, pour sa proximité avec les dieux, et par excès d’impureté, d’autre part, pour ce qui se rapproche de l’animal – les burakumin sont aussi nommés yotsu, « marchant à quatre pattes » – et qui rappelle à l’homme sa condition : le sang et la mort. « Il est remarquable que les mêmes interdits qui préservent de la souillure, isolent la sainteté et protègent de son contact. Le souverain-dieu de type Mikado, comme la femme indisposée, ne doit pas toucher le sol ou s’exposer aux rayons du soleil ». Cette bipolarisation – ces deux abîmes qui, en réalité, ne font qu’un – participe d’une même exclusion et, ainsi, garantit la stabilité sociale. La pompe des princes n’étant que la face lumineuse de l’ordure.
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Passeurs parias et passeurs émissaires : Burakumin et passeurs dans L’Opera des gueux de Kaikô Takeshi

Les passeurs, dans leurs fouilles incessantes au cœur des ruines, sont en quête, en sus de ferraille, d’un hypothétique trésor : métal rare, comme le tungstène, précieux, comme l’argent. Dans ce monde de la nuit, dans ce monde de chaos et de ruines, au plus profond de la décomposition, dans cet agglomérat informe de métal tordu et rouillé, déchet d’une civilisation dévastée, victime de son orgueil démesuré, des êtres rejetés par la société s’affairent à la recherche d’une trace de pureté. C’est en quelque sorte la morale du roman : Kaikô nous fait découvrir de la beauté, de la pureté, dans le cloaque infâme où survivent ces ludions picaresques. Ces « Apaches », ces sauvages rejetés par la société incarnent l’espoir en ce qu’ils savent découvrir de la pureté au plus profond de ce monstrueux monument d’inanité et d’orgueil, et qu’ils ont cette faculté de la réinvestir dans et au profit d’une civilisation qui refuse de les compter parmi les siens et qui, pour se purifier de sa propre souillure, n’hésitera pas à les sacrifier.
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Les passeurs dans L’Énéide

C’est sans doute pour cela que les deux colombes du livre VI que nous évoquions supra sont bien des animaux-passeurs, à l’image de leur « maîtresse » Vénus. À travers elle, l’amour lie le monde terrestre au monde divin, dans une dimension mystique et initiatique qui va au-delà de la perspective lucrétienne de l’amour comme principe d’attraction universelle (cf. Hymne à Vénus, De Rerum Natura, I, 1-43). Et Vénus apparaît bien comme la Daena du soufisme iranien: une figure de l’Ange Gardien, un double divin de la psyché humaine, qui protège et assiste sa figure gémellaire symétrique confrontée aux épreuves du monde. En même temps, comme intercesseur (on pense à la scène d’Énéide VIII 370-406 où elle demande à son époux Vulcain des armes pour son fils20), elle est proche de la figure christique de la Vierge, autre « passeuse » de ceux qui invoquent son amour et sa protection.
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Les passeurs dans L’Énéide

Macrobe nous rappelait (avant Nietzsche...) qu’Apollon et Dionysos sont les mêmes visages, diurne et nocturne, d’un principe créateur en action. Rien d’étonnant qu’une épiclèse d’Apollon soit précisément celle d’un dieu passeur, « de la porte », thuraios, alors que, pour les mêmes raisons, Diane est dite Trivia, déesse des carrefours et du passage. Janus lui-même est toujours saisi dans une fonctionnalité gémellaire et associée à la complémentarité des contraires, lorsqu’il est dit patulcius et clusivius, dieu qui ouvre et qui ferme, donc dieu passeur, à travers les portes de son temple, ouvertes en temps de guerre, fermées en temps de paix : il fait passer d’un espace à un autre, de la guerre à la paix, du chaos au cosmos (à l’origine, il est identifié au chaos : cf. Ovide, Fastes, I, 103 sq.).[...]
Donc, Janus est bien le dieu passeur par excellence : il fait entrer (une ancienne étymologie fantaisiste faisait dériver son nom du verbe inire, faire entrer ; elle est philologiquement fausse, mais intelligente). Il est l’initiateur du temps. C’est pour cela qu’il préside au premier mois de l’année, Januarius, janvier, le mois de Janus et le mois de la porte, janua.
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Les passeurs dans L’Énéide

LA SIBYLLE

Sed revocare... hoc opus, hic labor est. Revenir, c’est là la grande affaire. Les passages, dans l’Énéide, ne sont pas des allers simples. Ce ne sont pas non plus des aller-et-retour. La réalité est plus complexe : il faut revenir d’où l’on vient, mais différent, enrichi et modifié par l’épreuve, l’expérience que l’on a connues. Lorsqu’Énée ressort des Enfers, lorsque Thésée revient du Labyrinthe, ils ne sont plus les mêmes que lorsqu’ils y sont entrés. On remarquera que les passeurs n’aident activement que pour le trajet aller. Le retour est l’affaire du voyageur, et personne ne peut plus rien pour lui, s’il n’a pas tiré les fruits de la rencontre terrible et éblouissante qu’il a eue au centre des Enfers pour Énée, au cœur du labyrinthe pour Thésée.

Mais, une fois qu’Énée a solennellement affirmé sa détermination : « J’ai tout anticipé et dans mon âme, intérieurement, j’ai tout mené jusqu’à son terme » (VI, 105), lorsqu’il a conduit en lui-même cette récapitulation de l’épreuve qualifiante à venir, la Sibylle l’aide inconditionnellement, et assume sans faillir son rôle de passeur, d’abord en lui révélant les indices qui lui permettront d’accéder à l’entrée (le Rameau ; la nécessité de donner une sépulture à Misène), puis en l’accompagnant (en silence, dorénavant), et en l’aidant concrètement : c’est elle qui organise le sacrifice propitiatoire (VI, 243 sq.), qui l’exhorte une ultime fois à la vaillance, devant l’entrée des Enfers (VI, 259-261), qui l’informe de l’inanité des ombres et des simulacres qu’il rencontre (VI, 290 sq.), qui le renseigne sur le nocher Charon (VI, 317 sq.), qui remet à sa place Palinure, coupable de faire perdre du temps à Énée, en lui demandant de le faire traverser le Styx, service que le héros ne peut lui rendre (VI, 373 sq.). Lorsque Charon, plein de suspicion, refuse d’embarquer Enée, elle le contraint de façon en quelque sorte magique, en lui montrant le Rameau ; enfin, c’est elle qui endort Cerbère en lui jetant un gâteau soporifique (VI, 417).

La Sibylle est toute prédisposée à jouer ce rôle de passeur, puisqu’elle-même est passage : être humain, habité par des forces qui la traversent, la dépassent et la mettent en rapport avec l’autre monde: le passeur n’est là que pour initier, éventuellement rectifier la démarche, aider le héros face à un danger imprévu ou sous-estimé ; mais le voyageur doit peu à peu se suffire à lui-même. . La Sibylle éclaire une dernière fois Énée, lorsqu’ils arrivent au carrefour entre les Enfers et les Champs-Élysées. Puis elle n’intervient plus, si ce n’est brièvement pour demander aux élus où se trouve Anchise (VI, 669 sq.). Dès lors, elle ne joue plus de rôle direct, elle n’est plus mentionnée jusqu’au vers 897. Mais elle est toujours là, puisqu’elle fait sortir Énée par la porte d’Ivoire. Elle ne se manifeste plus, car elle s’efface devant Anchise, plus élevé qu’elle dans la hiérarchie ontologique, puisqu’il est à la fois mort et réalisé spirituellement (il siège aux Champs-Elysées), alors que la Sibylle, comme passeur, n’est qu’un truchement, un être en relation, qui connaît les protocoles et les chemins, mais qui n’est pas habilité à délivrer des messages (ce que fait Anchise à son fils). Dans le processus du passage, il y a donc des jalons, des seuils où l’on s’arrête. Et d’une certaine façon, Énée est d’une essence supérieure à la Sibylle ; car son rôle à elle est, et sera toujours d’accompagner ; alors que lui s’inscrit dans un processus de métamorphose ontologique ; quand elle l’a conduit au seuil où d’autres entités plus évoluées l’attendent, elle s’arrête, sa mission achevée ; et sa mission à elle sera toujours la même ; alors que lui continue d’apprendre et d’évoluer. C’est là, dans l’Énéide, l’importante différence entre le passeur et celui qu’il fait passer.
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De l’échelle de Jacob au gué thérapeutique : l’adoubement par les roseaux en Pyrénées catalanes

"L’amandier, arbre monoïque et colonne vertébrale du monde, se trouve au fondement de Luz, la cité où le patriarche Jacob rêve de l’échelle céleste et oint la pierre de Béthel."


Et ailleurs, on associa aussi le Béthel des Hébreux à la « pierre de Scone » (Comté de Perth, Ecosse), lieu de pèlerinage depuis les Croisades, que le roi Edouard I transféra à l’abbaye de Westminster, sous le trône qui sert au sacre des rois d’Angleterre, ou des « Rois thaumaturges ».
[...]
On identifie L’Echelle de Jacob, reliée au fondement du Bethel, comme axe du monde, avec la septième sphère astrale, que représente la constellation de la Canicule (Canis minor): il est dit qu’« une étoile se lèvera de Jacob » (Nombres, XXIV, 17). Selon la mythologie d’Ougarit, elle était censée régir les pôles agraires et rituels de l’année, comme elle régulait le cours du Nil en Egypte. Axis Mundi et Arboris Mundi, on y a parfois vu la métaphore de la Tour de Babel, qui apparaît elle-même associée à des représentations astrologiques et au « souvenir des ziggourats de Chaldée dont les escaliers semblaient se perdre dans le ciel ».

Sous l’égide du roi Salomon, la pierre de Luz-Bethel fut ensuite transportée par magie jusqu’à Jérusalem (Urusalim), où elle servit de fondement au temple que bâtissait le roi Hiram. Le temple y fut lui-même préfiguré par l’Arche de Moïse, Béçaléel et Aaron : en stigmatisant le crépuscule des Dieux du désert, réunis en El, il sédentarisait définitivement le culte de Yahvé, figure du judaïsme historique. L’expansion théologique du culte yahviste et la récupération ecclésiologique du culte du Béthel s’inscrivent dans la rupture de la « tradition de Jacob ».
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De l’échelle de Jacob au gué thérapeutique : l’adoubement par les roseaux en Pyrénées catalanes

(Ezéchiel, I, 28)
Cette mandorle de lumière se scinde ici en deux arcs de cercle croisés ou adjacents au niveau des reins. Tels les roseaux du guérisseur, ou les triades séphirotiques du passage.

Les reins, qui correspondent à la Porte des hommes... « De toi naîtront un peuple et une assemblée de peuples, et de tes reins sortiront des rois » (Gen., XXXV, 11). Or le paradoxe ou l’arcane biblique veut aussi qu’auparavant, Jacob ait eu les reins brisés dans sa lutte...
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"Dans diverses formules d’oraisons catalanes, que j’ai longuement étudiées, je trouve la mention explicite d’une échelle (escala), ceinture (cinta, corretgeta) ou ruban (veta). Il est dit qu’au dernier jour, les âmes des purs ou des enfants (albats) l’emprunteront, alors que celles des pêcheurs (condemnats) ne le pourront. C’est bien dans le thème générique de l’échelle céleste que s’inscrivent ces léxèmes, car : « cette tradition de l’immortalité ascensionnelle, commune au chamanisme indonésien, tatar, amérindien et égyptien se retrouve dans l’image, plus familière pour nous, de l’échelle de Jacob ».
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De l’échelle de Jacob au gué thérapeutique : l’adoubement par les roseaux en Pyrénées catalanes

"Concept forgé par Luc de Heusch, l’adorcisme signifie la domestication, l’élection et la sacralisation par adjonction, et la légitimation sociale du “mal”, qui n’en est plus un."

Dans la langue vernaculaire du peuple, en dialecte catalan septentrional, on désigne cette affection[Lumbago] par les termes « desllumadura » ou « disllumadura »
Le malade atteint du lumbago est littéralement qualifié d’homme désallumé (desallumat, desllumat, disllumat), un peu comme si, par analogie, l’on voulait signifier là le fait que son énergie vitale s’était en quelque sorte éteinte. Et à l’inverse, on trouve fréquemment une forme voisine d’illumination (llumadura) – en français, on parle aussi d’une articulation luxée (du verbe lat. luxare, dérivé de lux, lumière).
[...]
La thérapie traditionnelle qu’ils[les rebouteurs] opposent au lumbago ou aux névralgies du nerf sciatique est désignée par la locution faire les roseaux (fer les canyes).
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Platon, dans le mythe d’Er le Pamphilien, imaginait ainsi l’histoire de l’âme d’Ulysse arrivant à son tour aux Enfers, – mais c’est également un magnifique résumé des treize premiers chants de l’Odyssée qu’il nous propose [...]:

"L’âme d’Ulysse, à qui le sort avait fixé le dernier rang, s’avança pour choisir ; dépouillée de son ambition par le souvenir de ses fatigues passées, elle tourna longtemps à la recherche de la condition tranquille d’un homme privé ; avec peine elle en trouva une qui gisait dans un coin, dédaignée par les autres ; et quand elle l’aperçut, elle dit qu’elle n’eût point agi autrement si le sort l’avait appelée la première, et, joyeuse, la choisit."
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Entre plaisir et peine, les passeuses de l’Inaccessible dans L’Odyssée d’Homère

L’association des cyprès et des sources qui coulent devant la caverne de la déesse sont, certes, le souvenir de nombreuses géographies funéraires orientales, mais on les retrouvera aussi, quelques siècles plus tard, sur les inscriptions des fameuses lamelles d’or orphiques déposées dans des tombes de Crète et d’Italie, telle celle-ci :
"À gauche de la demeure d’Hadès, tu trouveras une source à côté de laquelle s’élève un cyprès blanc ; de cette eau ne t’approche pas trop. Mais tu en trouveras une autre : du lac de Mémoire l’eau fraîche s’élance et des gardiens sont là en faction. Dis-leur : “Je suis enfant de la Terre et du Ciel étoile, cela vous le savez ; mais je suis desséché par la soif et je me meurs. Donnez-moi vite de l’eau fraîche qui s’écoule du lac de Mémoire”. Et d’eux-mêmes, les gardiens te donneront à boire de la source sacrée, et après cela tu règneras parmi les autres héros."
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Entre plaisir et peine, les passeuses de l’Inaccessible dans L’Odyssée d’Homère

Nous pouvons alors noter que le nom de la déesse repose sur la même racine que le verbe kalypto (« cacher ») ; ce qu’elle cache, ce n’est pas le sens de l’humanité (celui-là même qu’Eve dévoilait à Adam, ou la courtisane à Enkidu), faute de désir de la part d’Ulysse, mais c’est Ulysse lui-même. Pendant sept ans, elle le soustrait aux vicissitudes de la destinée humaine, en le plaçant à l’écart du monde. Ulysse prisonnier à l’insu de tous sur son île est dans la même situation que les marins dont les ossements jonchent la plage des Sirènes : mort sans sépulture, hors du souvenir des vivants. Or il a appris que seul le souvenir empêche le mort de disparaître de chez les vivants. Donc Ulysse se souvient. Il se souvient de lui. Privé de liberté physique, il passe son temps assis à pleurer : seul fonctionne son esprit, et pour regretter le passé. Tel est l’état d’une âme morte rappelée à la vie. C’est le souvenir de sa vie passée qui le maintient en vie, qui le raccroche au monde des vivants ; il opère sur lui ce que devraient opérer les vivants s’il était mort : il entretient son propre souvenir. Oublier Ithaque reviendrait à être oublié du monde, donc à mourir complètement ; se souvenir, c’est être vivant. Et si Ulysse peut finalement échapper à sa geôlière, c’est parce que son fils Télémaque part à sa recherche. Ce faisant, il effectue en effet pour son père le rituel de l’ekklêsis, l’évocation d’un défunt parmi les vivants ; mais, grâce à l’habileté magistrale du texte, le lecteur ne saisit le sens de l’organisation générale des épisodes de l’Odyssée et la portée du voyage de Télémaque, qu’in fine, lorsqu’Ulysse a lui-même pratiqué le même rituel et a terminé le récit de ses aventures, dont chacune apporte un élément de compréhension pour la signification de l’ensemble.

"Les récits d’Ulysse ne sont-ils pas finalement la transcription de la venue au souvenir et à la conscience de toute une série d’événements antérieurs, symboliques de sa vie passée (de roi, de berger et d’époux) et que l’épisode de la guerre de Troie avait effacés : ce retour par l’esprit à la mémoire de ce qu’il était autrefois rend ainsi possible un retour physique chez lui."
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Entre plaisir et peine, les passeuses de l’Inaccessible dans L’Odyssée d’Homère

Mais la spécificité du voyage d’Ulysse vient de ce que les multiples épisodes de ses navigations ne sont pas des étapes de la quête d’un état nouveau, pour lequel il aurait besoin d’un passeur divin, d’une aide extérieure qui lui apporterait ce « plus » qui manque à l’être intime pour accéder à l’inconnu. Au contraire, l’Odyssée est le récit d’un nostos, d’un retour, des retrouvailles avec un état ancien ; et s’il y a passage, il ne peut être qu’intérieur, puisque déjà toute chose recherchée est connue et a été vécue.
Il s’agit moins d’un retour à un point dans l’espace (Ithaque) qu’un retour à un point dans le temps et à un état antérieur, celui de roi, mari et père. Voyage de l’âme par des voies physiques : le déplacement du corps d’Ulysse dans l’espace permet celui de son âme dans le temps. D’où la nécessité de ces personnages, à la fois nochers et guides : les passeurs.
Or ces passeurs sont en réalité des passeuses, des femmes qui vont réunir pour Ulysse les conditions d’un passage par la verticalité qui lui permettra d’accomplir sa route horizontale, et qui le ramèneront peu à peu jusqu’à Pénélope, phare de ce trajet métaphorique.
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