-Coca-cola Melody-
Dans quelques minutes, je vais boire le premier Coca-Cola de ma vie, je veux que ce geste soit marqué d'une certaine solennité. Ces deux mots magiques, leurs initiales portant écharpe ont nourri mes rêves d'Amérique. Avec Lucky Strike, ils symbolisent la liberté arrivée en jeep. (p.97)
-La montre de mon père-
Mon père disparu, j'ai demandé à garder sa montre. Je la soupèse, je la palpe, je la pose, je la reprends, je la contemple. De la pulpe de l'index, je la parcours, je sens qu'elle est cabossée. Il la laissait souvent tomber. Elle a vieilli avec lui. Elle est blessée.
Mon père travaillait trop. Je n'ai pas partagé assez d'heures avec lui. Mes regrets et mon chagrin sont enclos dans un rond de 48 mm de diamètre. (p.63)
-Trente-deux bouffées d'encre violette-
Remplir les deux encriers de chaque pupitre, soit trente-deux encriers, pour la plupart de mes camarades c'est une corvée, une sorte de punition. Moi, je l'exerce comme une petite responsabilité qui m'est dévolue. (...)
Trente-deux fois je regarde couler l'encre violette. Trente-deux fois la bouffée de ce parfum caractéristique me semble nouvelle. Elle est délicieuse, enivrante comme celle de l'encens. Elève d'une école communale, je fais une relation entre ce geste laïque et celui de placer les cônes sur les charbons rougis de l'encensoir. Je les ressens telles deux célébrations étrangères l'une à l'autre, jumelles pourtant. (p.167-168)
-J'ouvre le livre comme une figue-
Je prends -Le Livre de ma mère- d'Albert Cohen. Mon exemplaire est jauni, fané, flétri. Je l'ai acheté en 1954, dans une librairie de la Canebière. Comme pour d'autres La Bible ou Le Coran, il est "Le Livre". Je lui demande de me guider chaque fois que je doute d'être un bon fils. (p.205)
- Le Berceau et le feu-
Dans un angle de la chambre, il y a un berceau. J'y ai dormi lorsque j'étais un bébé. Ma mère ne m'a jamais embrassé après m'avoir bordé. En Corse on ne donne pas un baiser à un enfant dans son berceau par crainte que ce soit un adieu pour toujours. (p.154)