Il faut partager notre cantonnement avec des fantassins du Midi dont l’accent pue l’ail.
Ah! si pour nous ces visions d'épouvante ne s'atténuaient point, si nous pouvions par la parole les retracer à nos enfants et aux enfants de nos petits-enfants, jamais le monde ne connaîtrait plus la guerre. Hélas, les saisons, dans les mémoires humaines, comme dans la forêt de Wolskopf, feront pousser des frondaisons nouvelles, et une fois de plus, l'expérience des hommes ne profitera pas aux hommes! Paul Lintier (1893-1916)
« Ah ! si j’échappe à l’hécatombe, comme je saurai vivre ! Je ne pensais pas qu’il y eût une joie à respirer, à ouvrir les yeux sur la lumière, à se laisser pénétrer par elle, à avoir chaud, à avoir froid, à souffrir même. Je croyais que certaines heures seulement avaient du prix. Je laissais passer les autres. Si je vois la fin de cette guerre, je saurai les arrêter toutes, sentir passer toutes les secondes de la vie, comme une eau délicieuse et fraîche qu’on sent couler entre ses doigts. Il me semble que je m’arrêterai à toute heure, interrompant une phrase ou suspendant un geste, pour me crier à moi-même : je vis, je vis ! Paul Lintier (1893-1916)
Le perruquier de la batterie est arrivé vers midi,à bicyclette,avec ses tondeuses et ses rasoirs. Devant l abris de la première pièce où les saucisses ne peuvent nous voir,il a installé un banc au soleil. Assis en rond,par terre,on cause tandis qu il opère le rasoir d une main,Le blaireau de l autre.
Une batterie allemande tire....représailles Sur Fossieux.Vingt-cinq coups par pièce. ....
...........................................................................................................Ici s arrêtent les pages inachevés du tube 1233
Dans l après midi du 15 mars 1916,Paul Lintier tombait sous la mitraille allemande. Ses dernières notes de routes,ramassées sur son corps sanglant,ont été réunis par les soins de ses amis et compagnons d armes,les marechaux des logis Arsène Gouhier et Lepeck,les servants de la pièce 1233:François Tardif,Julien Lesaulnier,André Petit,Léon Royer,Prosper Radais,Mathurin Guyot.
L’angoisse m’étrangle. Je raisonne pourtant. Je comprends clairement que l’heure est venue de faire le sacrifice de ma vie. Nous irons, nous irons tous, mais nous ne redescendrons pas de ces côtes . Voilà ! Ce bouillonnement d’animalité et de pensée, qui est ma vie, tout à l’heure va cesser. Mon corps sanglant sera étendu sur le champ. Je le vois. Sur les perspectives de l’avenir, qui toujours sont pleines de soleil, un grand rideau tombe. C’est fini ! Ce n’aura pas été très long ; je n’ai que vingt et un ans.