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Citation de Ledraveur


Une cavité sous le signe de l'eau et de l'ours
Ce sentiment d'un investissement total de la caverne, d'une structuration organisée de son espace est renforcé par d'autres indices archéologiques. Les spécialistes ont ainsi noté que des crânes d'ours fossilisés ont été intentionnellement déplacés de leur position d'origine. Ce fut le cas dans la salle du Crâne, où l'un d'eux a été déposé volontairement sur un bloc rocheux détaché de la voûte, en compagnie d'autres crânes disposés aux alentours. Autre découverte, confirmée par l'analyse tridimensionnelle de blocs rocheux situés sur le sol : certains amas de pierre ont été formés volontairement par les hommes, peut-être dans un but cultuel, comme dans la salle des Panneaux rouges. Dans la salle Hillaire, un bloc de calcite détaché d'une paroi a été déplacé sur plusieurs dizaines de mètres, puis aménagé pour former une marche, permettant de franchir le dénivelé d'une banquette d'argile. Dans la galerie du Cierge, d'autres blocs ont été déplacés, puis assemblés pour former un bassin de rétention d'eau, rendu étanche par de l'argile prélevée à quelques mètres de là, dans laquelle l'auteur de cet aménagement mystérieux a laissé l'empreinte de ses doigts.
A-t-on voulu retenir l'eau pour l'empêcher de s'écouler plus loin dans la cavité? Avait-elle une fonction rituelle, codée ? Le mystère reste bien sûr entier, même si d'autres faits militent en faveur d'une importance symbolique de l'eau pour les artistes de Chauvet-Pont d'Arc. Ainsi, le panneau des Chevaux de la salle Hillaire, chef-d’œuvre majeur du sanctuaire, est-il structuré et organisé autour d'une alcôve dont on s'approche aujourd'hui en avançant sur une passerelle. Là, au pied de la paroi de l'alcôve, sous l'image d'un bison qui semble vouloir s'échapper au galop et de deux félins en pleine parade nuptiale, une anfractuosité dans la roche est visible. Lors des fortes pluies, l'eau coule par cette ouverture à la manière d'une source, dans un gargouillis caractéristique. Le phénomène spectaculaire, s'il s'est produit à l'époque, n'a pu que marquer l'esprit des Aurignaciens. Se peut-il, comme le propose l'anthropologue Joëlle Robert-Lamblin, qu'ils aient vu dans ce filet d'eau surgi de l'arrière de la paroi une manifestation surnaturelle ? Leur rappelant le prodige de l'arche de pierre du Pont d'Arc enjambant la rivière, non loin de la caverne ? Pour cette chercheuse, la grotte considérée comme sacrée par les hommes était peut-être placée, dans son ensemble, sous le signe de l'ours, omniprésent sur les sols fossiles et les parois. Un plantigrade considéré comme « un intermédiaire entre le monde sensible et un monde surnaturel » peuplé d'esprits, dont la cavité aurait été le séjour. Dans ce monde souterrain et effrayant, les artistes, peut-être aussi chamans, allaient à la fois éprouver leur courage et représenter sur la roche les images qui supportaient les mythes fondateurs de leurs groupes.
Ce caractère surnaturel supposé de la caverne aurait pu être renforcé par les innombrables anfractuosités, failles et recoins naturels, dont les animaux peints il y a 36 000 ans semblent souvent surgir. Comme s'échappant du « monde autre », un au-delà hypothétique dont la paroi aurait marqué la frontière, dans le cadre chamanique proposé par Jean Clottes pour interpréter l'art paléolithique. Dans ce même cadre, l'acte d'apposer la main sur la paroi, tant de fois répété à Chauvet-Pont d'Arc puis plus tard tout au long de l'art préhistorique, aurait eu pour fonction d'entrer en communication, symboliquement, avec les forces, les esprits et les puissances de cet au-delà minéral.
p. 82
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