Citations de Philippe Delaveau (84)
I
Ciel noir, lune blanche -
silence enfin, vaste cour
aux mains les étoiles
II
En nous ta présence
Toi caché dans l'univers
léger vent de branches
La douceur de la colline
La douceur de la colline
Est tout ce que je sais.
Ton poème
J’inventerais pour toi d’autres paroles,
Je t’apporterais des brassées d’images.
Rien ne te suffirait. Ne joue pas dans la fuite.
Explore le silence, pénètre au fond de toi,
Plus loin, jusqu’à l’obscur où la parole sourd,
Cachée par les feuillages.
Fais ce que dit le maître,
Apporte les amphores,
L’eau de la source où nous avons puisé.
Fais du luth de tes mains l’instrument d’une gloire
Qui sera signe de l’amour.
L'ALOUETTE
D'abord elle se faufile, craintive, dans les prés.
Humant l'odeur végétale du vert, le lait acre
Des coquelicots de soie rouge plissée, le bruit
Du vent dans le frémissement des orges.
Puis elle s'envole toute droite, dans l'air limpide,
Comme l'éclair au-dessus du pré, s'enfuit;
Et toutes les couleurs, les sons s'harmonisent
Dans le vent fluide qui la berce jusqu'aux nues,
Et le soleil si froid dans le ciel proche,
L'horizon qui s'appesantit sur ses arches de brumes,
La nuit lointaine et le recel des mares,
Les fermes endormies sous leur chapeau de tuiles.
Elle, droite, exulte au-dessus de l'espace,
Sans perdre son chemin dans le récit
De l'herbe à terre occupée de célestes insectes.
Mais buvant au-dessus de la coupe de cristal bleu
La tremblante eau du jour, chérit d'en haut la terre.
LA MUSIQUE
La musique toujours nous parle de notre vraie patrie.
Sitôt que son chant s'élève, nous appelle,
Comme le vent du soir dans l'arbre aux feuilles douces,
Nous voguons dans les embrasements d'une mer infinie.
Est-ce la vague avec les rimes de la houle,
L'opulente clarté de la fugue de sèves :
Le soleil brame sur les délices du lac transparent,
Et nous nous connaissons comme l'eau qui s'écoule.
Le monde est vertical : tel est l'amour de l'arbre
Où le renard du vent se faufile et s'empourpre,
Et la nuit plus terrible, née pour un seul amour.
Nous te reconnaissons pays sans visage, terre
Où nous avons grandi sous le chêne immortel; ciel semé
de grandeurs,
Puisque nous sommes l'infini qui se dilate et sa muette
raison;
Nous te reconnaissons pour avoir oublié
Ton ciel sublime et le nom de cristal
Qui nous fut donné dans l'orchestre céleste.
Libres toujours, et marchant dans les forêts
Obscures, nous dérivons comme la feuille prise au
ruisseau
De la branche, l'œil incomplet, le cœur inachevé,
Mais balbutiant le seul langage de l'azur,
Tous désespoirs réduits et toute mort traversée.
LE BLEU
Lorsqu'on renverse la tête sur le sable, et que le jour décroît,
Soudain les yeux s'entrouvrent : c'est le bleu
Du ciel immense, l'espace transparent du ciel bleu, pays
De la lumière vive au-dessus de la joie de l'arbre,
Et le héron prudent pose une patte circonspecte, risque l'autre
Sur le mercure miroitant; la flaque réfléchit l'impavide, l'immense,
L'absolu bleu.
Nous oublions
Les luttes d'un cœur épris d'amour et les distances.
Le bleu
Traverse l'air impalpable, visite la branche immobile qui le salue,
Se laisse étreindre par les yeux qui le pénètrent.
Dans le vitrail éclate la fanfare du jour,
La rosace infusant le doux acquiescement de la lumière.
Même un nuage infime et haut fait concevoir
Les éloignements sans fin de la distance où glisse
Au pli de la tenture une aiguille suivie
D'un fil qui s'effiloche.
Une invisible main
Tente de coudre à l'aube enfuie le crépuscule,
Puisque emporté par son poids, le soleil
Déchire la mandorle où le temps le suspend,
Et que le bleu pâlit à l'horizon.
La mer
Répand sur ses genoux qui tremblent,
Le vaste drap où flambent ses ciseaux,
Berçant infiniment nos cœurs qui se désolent
D'être mortels encore sous l'azur éphémère.
LES TRANSPARENTS
Ils sont debout à l'avancée de la lumière,
Transparents et bleutés.
Parfois la brise
Les soulève au-dessus de la tourmente qui saisit l'arbre,
Près de la plaine où bataille l'armée.
La torche du soleil consume la lavande et le désir
De gloire.
Dans l'ombre qui s'allonge,
La confiance grandit.
Des yeux, dans le silence,
Les considèrent depuis le tronc de l'arbre, la voix
Trop suave retentit, mais ils n'écoutent pas.
La clarté odorante des roses
Cache la guêpe; le sourire innocent dissimule
Une pensée coupable afin qu'ils sombrent bas, profondément,
Où l'autre se démène, cherchant qui déchirer.
Mais ils demeurent sur le sentier où leurs épaules ploient,
Sous la charge invisible qu'ils transportent,
Et la lumière transfigure leurs yeux,
Pour que la paix fragile y soit plus assurée.
POÈME
Il a posé un doigt sur ses lèvres :
Il faut se taire.
Au-dehors
Les arbres continuent de trembler dans la brise
Et l'oiseau sur le mur blanc, par la fenêtre
De lumière, ouvre un œil sage
Couleur de raisin noir.
De l'autre main
I
Il a posé un doigt sur ses lèvres :
Il faut se taire.
Au-dehors
Les arbres continuent de trembler dans la brise
Et l'oiseau sur le mur blanc, par la fenêtre
De lumière, ouvre un œil sage
Couleur de raisin noir.
De l'autre main
Il tient l'écritoire et la plume; la nuit
Chaude descend sur ses épaules; derrière,
Le mur est comme l'âme dépouillée, terne et nue.
Alors seulement commence la lumière.
II
À peine le bruit d'un silence ténu
Fait-il trembler l'ombre des feuillages.
Ni l'orage grondant au-dessus de la grève,
Ni le ronronnement des automobiles dans l'avenue,
Ni le sifflement des lourds avions d'argent,
Moins que la brise parmi les feuilles.
Heureux dans l'obscure ténèbre, celui
Qui écoute et se prosterne.
III
Peut-être alors entendrons-nous
Sur le mur blanc qui ferme l'horizon
Lorsque la nuit ouvre ses poings de feu,
Germer les graines saintes du silence
Et poindre l'aube.
IV
Les poèmes vieillissent confusément,
Parlant encore de forêts, d'or et de roses; toutefois,
Quel sage aurait pu dans une seule fable,
Serpentant au-dessus des hommes et des fleurs,
Dire comme la perle un peu l'attente
Qui est au creux du monde, et peut-être à la fin composer
Pour un prince las du soleil et des livres,
Un autre chant qui ne vieillirait pas,
Qui parlerait sans fin de ce qui recommence, au gré
Des libellules bleues, des armoiries de l'onde?
Alors l'image en ce poème serait plus limpide
Que le bruit continu de l'eau, plus sombre qu'un silence
Au pied mauve de l'arbre, à celui
Qui écoute la nuit parfaire les saisons,
En quête de sagesse nébuleuse et d'ordonnance.
V
Voici la plus belle heure, les arbres
Sont roses dans le jour qui se lève.
Les parfums n'ont encore épuisé leurs timides
Secrets, dans le lacis des herbes, parmi les fleurs.
Alors le soleil blanc et rond quitte son écurie,
Perdue dans la douceur du ciel au-dessus de la crête
Des arbres centenaires; le lourd charroi qu'il tire
De la chaleur d'été d'où tombe le foin rouge,
S'engage sur l'ornière de la
Loire jusqu'au soir des collines,
Que des merles, des hirondelles, veillent de leurs cris.
FRA ANGELICO
Les morts ressusciteront dans les champs de lavande, vigoureux
Comme le vin nouveau dans la tonne de chêne; danseront,
Criant de joie dans l'éternel été.
Les crépuscules, l'aube
Seront pour les étoiles de l'allée, une charmille.
La joie
Sera le nom des fleurs et l'odeur de la nuit, une lumière.
Comment saurai-je l'innocence des jours renouvelés, dit
Près du bleu de la croix, si sombre, l'angélique frère.
Et d'amples paysages se dessillent au lointain; des tombes
Entrouvertes, les morts se dressent, en tunique d'azur - comment
Saurai-je peindre l'insoupçonnable et l'inconnu ?
Ferme tes yeux
D'abord, laisse ta barque transparente, sur le sillage
Prendre le rythme et geindre, avant de t'élancer
Dans la clarté de l'aube verte et sache ta science
S'humilier devant l'ombre propice.
Il vient, mais l'entends-tu
Glissant parmi les portes immortelles?
Que ton art soit habile pour le dire,
Et le mur frais, les teintes justes assemblées dans le concile
Des couleurs.
Et l'on murmure alors le récit des splendeurs,
Que l'Ange embouchera la trompette d'argent; que des flancs
Du navire descendent, pour des embrassements sans fin,
Les rois mendiants et les célestes pauvres.
J’écris…
J’écris non pas sous le soleil trop dur, le remuement des hommes
Mais à cette heure d’ombre, de solitude, sur les trottoirs d’hiver,
J’habite à la frontière entre l’intraduisible et la clarté.
[…] un chant qui vient de moi et ne vient pas de moi,
m’assaille, obsède et déconcerte.
Restons ici …
Restons ici main dans la main, les pieds bien posés sur la terre
l’éternité fait son nid dans nos cœurs, le reste est éphémère
Tout simple et digne ici…
Tout simple et digne ici respire et salue l’air
De mai très bleu et gai dans la stabilité nouvelle de ses formes,
Le tremblement des feuilles, les couleurs neuves recréées.
La pierre
J’ai parlé à la pierre avec ma langue d’homme, je l’ai tenue
dans ma main d’homme, une fois ramassée.
J’ai caressé sa joue de pierre comme une peau de squale,
et son fil de couteau, blessé, tailladé de méplats. Je la soupèse
comme on fait d’un melon propice et lourd par temps
de grand soleil aux tentes du marché.
Avant de la rendre à la terre parmi les choses
sans usage, vouées aux bas-côtés du chemin, aux ornières
hors de l’impitoyable zèle qui fait courir les routes.
Cependant signe, chose vivante, sens résolu.
Et mon esprit
sur elle fonde sa joie, songeant, songeant avec ferveur
à sa vocation même croissant parmi le jour
et la joie singulière au plus secret désir
qui anime le cœur et la foi des hommes.
Pourquoi chercher de ce côté - la peinture - qui est comme interdit, puisque les mots ne lui sont rien ? Pourquoi enfreindre la règle du silence, si la peinture est bien, comme la nommait Poussin, l'art des "choses muettes" ? Qu'espérer obtenir de l'appropriation moins d'un domaine que d'une manière d'organiser les formes et les couleurs ? "Il faut s'excuser de parler peinture" disait Valéry, mais il semble que l'écrivain moderne, au sens où l'entendait Baudelaire, n'ait pu s'empêcher d'en parler, car ce qu'il cherche, en définitive, c'est un pouvoir pour saisir le monde et l'ordonner, pour étayer l'univers qu'il ajoute au macrocosme - son univers, ce que personne avant lui n'avait vu, ou du moins n'avait su traduire.
Ce que nous avons ressenti, le peintre nous le fait voir, et cela sans les mots qui sont sont si souvent contraires. Comme nous voudrions que toujours ils s'emparent de la chose qu'ils désignent, qu'en les utilisant nous disposions des formes et des couleurs, que nous les puissions révéler, en exprimer le mystère. (...) Nous devons tout apprendre de la peinture, parce qu'elle accède à l'objet - quel qu'il soit - d'emblée, sans l'ambiguïté du langage des mots, en obligeant à une intelligence du regard et de la main. Peut-être le peintre, par la coïncidence d'un métier et d'un geste de capture, est-il en mesure de s'emparer de l'indicible, de cela même que nous nommons, faute de le définir, la poésie -, ce centre lumineux, cet état d'amplitude, vers quoi tend le poème ? (avant-propos de Philippe Delaveau, p. 5)
C'est l'heure où l'hirondelle déplie ses ciseaux
pour couper le long fil jusqu'aux ardoises.
Hirondelle d'été, toujours alerte avec ses ailes,
rayant le ciel et les coeurs amoureux de secrets (...)
Qui témoigne de la sollicitude?
Qui
Passe dans l'ombre bleue des ifs?
L'ange
Sur le mur blanc ne projette aucune ombre, et s'avance
Vers la chambre modeste, au cœur du monde, traversant
Le jardin bleu semé de buis où chante suavement
La tourterelle.
Et vous étiez assise,
Songeant à la maison cachée dans l'ouvrage de l'aube,
Qu'éclairent des soleils qui ne s'épuisent pas.
Que selon la
parole,
Il en soit fait ainsi.
Et la parole irradie le vitrail
De votre corps, au jour qu'avait fixé selon votre douceur
Celui qui nidifie le mercure des eaux, pour que
Se renouvelle le jardin, plus suave que la nuit captive
Au cœur humide et capiteux des roses du matin.
La maison est proche, à peine visible mais si belle,
Saurons-nous l'atteindre?
Les routes dorées sur l'envers des champs
Finissent par pourrir; ainsi les feuillages
Ruissellent ensemble, et les eaux volages
Courent à l'envi jusqu'aux embouchures,
Pour se perdre aux vents - et la mer lascive
Essuie les douleurs, efface les pages.
Il reste le murmure très aimant des branches;
L'écharpe des fumées salue les nuages,
Et ce frémissement si proche : qui
Déplie le vent, ouvre la page,
Puisque tout s'enfuit, même le souvenir?
Les mots maladroits qu'assemble le poème
Tentent bien de dire qui n'a pas de nom.
Un soir souviens-toi du murmure des étoiles,
De la nappe où l'on a disposé
Le pain azyme et blanc, le cratère doré
Où se dresse un agnelet de neige.
CHANT DE PÂQUES
Lorsque le crépuscule du matin
S'unit aux nuits crépusculaires,
Alors nous verrons poindre la paix promise.
La paix soit avec vous pour une nuit sans fin,
La nuit de haut large et lumière.
Sur les tombes ouvertes s'ébroue le matin,
Et le vent fuyant conduit au couchant
La mort soumise et solitaire.
Les nuits vieilles s'enfuient, l'angoisse et tant de crainte.
Alors nous avions peur : qui grince dans la porte;
Qui rôde autour de l'arbre gris; au fond
De nous, des inconnues hostiles nous adressaient des signes.
Enfin s'unit le jour à la nuit douce en
Lui,
Nuit renversée de l'ombre, et convertie
Pour les yeux seuls qui contemplent quand
Les autres se ferment.
CHANSON
Le temps ravit les jours anciens
Les mois les heures les années
Ce que je suis ne sera plus
Je ne puis revenir aux lieux ensevelis Aux maisons froides aux jardins morts Je dirai sur la splendeur étale des plaines L'horizon où s'enfuirent les nues
Je suis la terre et le déclin des branches Le chant l'oubli du chant la parole déprise Sollicitude sans emploi mains aux ressources vagues J'ai connu la douleur l'espérance la
joie
Le temps ravit les jours anciens
Les mois les heures les années
Ce que je suis ne sera plus
Tristes oiseaux craignant le froid Les jours défilent puis se rompent La mort se cache dans le soir Quand la lampe faible s'allume
S'en reviendront l'hiver et les pas étouffés Dans la neige immobile sur les trottoirs L'heure pâlit à la fin de l'été Ce que je suis ne sera plus
Le temps ravit les jours anciens
Les mois les heures les années
Je n'étais rien le temps me dilapide.
CAMPAGNE
Ici la foule des tournesols
Courbe vers l'orient ses têtes recueillies,
Serrées dans le drap jaune des cornettes, souriantes.
Le jour décroît, aussi la mansuétude est douce
Parmi les orges fraternelles, versant au coin du champ
L'obole de la veuve au moineau roux qui loge
Dans le lierre.
L'avoine est lasse de combattre
Et fléchit lentement, au gré des vents onctueux
Sa lance.
Les filles du blé, en agitant leurs nattes blondes
De l'azur se souviennent, mourant et renaissant, où le soleil
encore,
Qu'annoncent merles, passereaux, et la mésange
Qui sautille sur le sentier fragile, resplendira.
Forêts et sombres eaux du
Cher,
Où le ciel transparent laisse pressentir
Le secret que l'eau entortille dans l'ombre;
Peupliers inquiets, chênes vétustés, saules échevelés,
Hissez du haut de vos mâtures l'astre qui roule
Sur la pente du ciel jusqu'aux mers,
Qu'il réveille les villes laides, les fermes
Dont se désagrègent les blancs tuffeaux, la lente
Eternité des caves ouvertes sur le vide.
Et le secret s'allonge sur la cendre des rivières :
Vainement la nuit déserte engendrera l'oubli.