Philippe Goddin

En 1922, le futur Hergé, qui n'a pas quinze ans, voit pour la première fois ses dessins publiés. Sept illustrations paraissent le 10 février, et une autre le 3 avril, dans Jamais Assez, l'organe bimensuel (stencilé) de la troupe scoute de l’Institut Saint-Boniface. Onze autres sont reproduites n dans les numéros d’avril et de mai du mensuel Le Boy-Scout, revue officielle des Belgian Catholic Scouts. À partir de mai, le titre de la revue est également tracé et illustré par ses soins.

Le dessin d'Hergé est prioritairement mis en valeur. Le commentaire concis et éclairant de Philippe Goddin présente les œuvres en se nourrissant d'éléments biographiques ou documentaires. L'auteur n'a pas manqué de remonter toutes les pistes, dont certaines totalement inexplorées. Il a découvert des aspects méconnus et à retrouvé des dessins inédits ou oubliés dont beaucoup sont publiés ici pour la première fois.

Célèbre et célébré un peu partout, Hergé croit n'avoir plus rien à prouver en tant qu'auteur. Mais il continue d'avoir envie de raconter des histoires, et c'est peut-être ce qui sauvera Georges Remi, qui n'a pas franchi sans mal le cap de la cinquantaine.

Bien qu'il soit entouré de collaborateurs, Hergé reste l'auteur à part entière du récit. Les crayonnés qu'il leur confie sont d'une expressivité et d'une inventivité exceptionnelles. Tantôt c'est directement sur ces brouillons qu'ils interviennent, tantôt c'est sur la mise au net qu'Hergé en a tiré lui-même par des jeux de décalques et des reports.

Entre-temps, Georges a franchi une étape décisive : il a choisi un pseudonyme et s'est promis de n'en plus changé. Finis les Remi, les G. Remi, les Geo, les GR... fini aussi la référence à l'A.F.L., il décide pour la transcription phonétique des initiales de son nom et de son prénom : il s'est définitivement baptisé Hergé.

Du point vu de la notoriété de ses personnages, Hergé ne s'est pas trompé : depuis que ses récita paraissent, en français et en flamand, dans la presse autorisée, le succès amorcé avec Le Petit Vingtième va s'amplifiant, comme d'ailleurs celui des albums.

Dans un message destiné aux lecteurs d'une revue allemande (...), Hergé dresse d'ailleurs ce portrait éclairant de son héros : " Tintin est chevaleresque, il protège les opprimés contre les puissants, s'attaque aux méchants et s'enthousiasme pour les causes justes. Tintin est courageux, entreprenant, débrouillard. (...) Mais à toutes les qualités qu'il a données à son principal personnage, Hergé en a ajouté une qui corrige les autres et qui, sans doute, les prime toutes : Tintin est humain, il n'est pas un surhomme (...) Tintin a ses faiblesses, il commet des erreurs."

Tintin existe à présent depuis quelque sept ans. La place qu'il occupe dans le cœur des enfants et des adolescents belges, français et suisses ne cessent de croître. Ils sont des dizaines de milliers à suivre avec enthousiasme le récit de ses aventures,

Le relevé de ventes des albums d'avril à septembre 1939 vient d'être communiqué au dessinateur. Il fallait s'y attendre, elles sont modestes. Tintin au Congo : cent vingt-cinq exemplaires en Belgique, quatre-vingt-neuf en France. Tintin en Amérique : cent trois en Belgique, cent six en France. Les Cigares du Pharaon : vingt et un en Belgique, cinquante-six en France. Le Lotus bleu : soixante-huit en Belgique, cent trente-deux en France....

Ce serait sans doute faire la part un peu trop belle à la légende que d’affirmer que le jeune Georges Remi consacra au dessin l’essentiel de ses premières années. Et pourtant, si l’on se fie aux souvenirs du créateur de Tintin recueillis par Numa Sadoul, force est d’avouer que le papier et les crayons semblent y tenir une grande place.

(p.11)

Qui était-il finalement, cet Hergé ? Si le présent ouvrage n'apporte pas "la"réponse, du moins propose-t-il "une" réponse. Un être de chair, de sueur et de sang, pétri de principes respectables, un homme scrupuleux, sincère et droit, s'efforçant en toute circonstance de "bien faire", se désolant parfois de n'avoir pu faire tout bien, mais finissant par s'accepter pour ce qu'il était, à savoir un être capable du meilleur et du pire, comme chacun d'entre nous, mais résolument tourné vers tout ce qui grandit l'être humain. C'est bien assez pour ne voir en lui que cet "honnête homme" au sens pascalien, qu'il voulut être longtemps, sans trop y croire.

...le dimanche suivant, au cours d'une excursion en famille, il inaugure son premier carnet de croquis en traçant d'une main ferme une vue de la Ferme Rose.