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Citation de Emmableue


CONSEILS POUR PARAÎTRE À L'AISE DANS UN ASCENSEUR

Passer un moment dans un placard avec un inconnu est embarrassant. Face à notre prochain, nous sommes timide et confus, nous ne savons pas où mettre les yeux, nous avons envie de nous faire tout petit (et, chose curieuse, l'autre paraît toujours serein et fort, comme s'il ne se rendait pas compte de l'incongruité de la situation). Alors quelle attitude adopter pendant le trajet pour surmonter notre malaise ?

Faire l'impatient et tapoter du pied donne l'air ridicule d'un businessman surexcité. D'un autre côté, regarder l'autre dans les yeux, face à face à quelques centimètres, l'inquiète. Quant à vouloir engager la conversation avec lui c'est une erreur : même pour une discussion très banale, le temps de voyage est trop court.

– Bonjour.

– Bonjour Monsieur. La politique politicienne, j'en ai ras le bol.

– Oui, ils nous prennent pour des abrutis.

– Allez, bonsoir.

Enfin, rester comme pétrifié après avoir appuyé sur le bouton, les yeux sur ses chaussures ou sur une paroi lisse, laisse supposer que la présence de l'autre nous effraie. Ce qu'il faut éviter absolument. Car en ascenseur, tout est basé sur le rapport des forces. Il est impératif, dès la mise en présence, de prendre l'ascendant sur notre prochain. Plus qu'une simple attitude à adopter, il s'agit donc d'effectuer un travail progressif, dont le but est d'amener l'adversaire en position d'infériorité. Car deux personnes ne peuvent se sentir simultanément à l'aise dans un ascenseur. On peut le regretter, mais c'est ainsi.

Tout d'abord, il faut s'empresser de demander "Quel étage ?" avec désinvolture, avant même d'être tout à fait à l'intérieur. Si nous traînons trop, il nous devancera sans scrupule – or cette question est primordiale, car elle nous place d'emblée comme le patron de l'endroit. "Un habitué", songera-t-il. Mais rien n'est encore gagné, bien sûr. Il est maintenant indispensable de se placer le premier près du panneau à boutons, et d'attendre qu'il quémande. "Quatrième, s'il vous plaît." Ensuite, un nouveau point sera marqué si nous appuyons précisément, d'un geste souple et sûr, sur le bouton qui correspond pile à son étage (ce n'est pas sorcier, comme manœuvre, mais cela impressionne toujours – "Il connaît l'emplacement exact des boutons, un habitué..."). Ensuite, tout est simple : il suffit de conserver l'avantage ainsi acquis, en profitant du léger éblouissement causé par notre "ouverture", pour entamer avant lui, avant qu'il ne se ressaisisse, notre "développé". Le développé est la matérialisation de l'attente placide, l'attitude que prend naturellement un homme sûr de lui entre le rez-de-chaussée et le quatrième, et peut revêtir plusieurs formes : un air que l'on chantonne à mi-voix, un doigt qui caresse avec nonchalance le panneau à boutons, un coup de peigne dans la glace. A nouveau pris de vitesse, il est coincé : on imagine mal deux étrangers chantonner ensemble dans un ascenseur (ou pire, se recoiffer côte à côte, ou caresser ensemble le panneau à boutons). Il ne peut pas non plus se mettre à chantonner pendant que nous nous donnons un coup de peigne : une personne décontractée dans un ascenseur, ça passe merveilleusement, mais deux, ça frise le burlesque. "Ils n'ont qu'à se mettre à danser, tant qu'ils y sont." Non, il ne pourra que rester figé et muet, dominé, embarrassé. C'est dur, mais l'heure n'est pas aux états d'âme. Il a perdu. Il voudra se cacher dans un trou de souris, tandis que nous serons parfaitement à l'aise. Il ne restera plus alors qu'à conclure (la "fermeture") : lorsqu'il sort, vaincu, et marmotte timidement "Au revoir", nous nous contenterons d'un léger signe de tête et d'un sourire distrait, qui achèveront de l'accabler. Ouverture, développé, fermeture, l'affaire est réglée. Resté seul pour un ou deux étages encore, nous nous sentons gai et léger : le trajet s'est parfaitement bien passé pour nous.
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